Vous ne connaissez pas Knockemstiff, dans le sud de l’Ohio ? Cessez immédiatement toute activité. Et lisez Donald Ray Pollock.
Les Lyonnais ont pu le rencontré lors de Quais du Polar cette année : c’est pour ce festival qu’il est venu pour la première fois en France, présenter son nouveau livre, le somptueux « Le Diable, tout le temps »,
paru en mars chez Albin Michel. Certes : nonobstant un goût pour le sombre rural que l’on trouva aussi chez Jim Thompson ou Larry Brown, Pollock a peu à voir avec le roman noir. Il était à Lyon en vertu d’un partenariat que j’avais appuyé * entre Quais du Polar et le festival America, qui l’avait invité.Or, et c’est pourquoi je le chronique ici, Pollock reviendra en France la semaine prochaine. Il est un des invités de l’édition 2012 des Etonnants Voyageurs de Saint-Malo.
Une ville
Donal Ray Pollock est né (en 1954) et a grandi à Knockemstiff. Il a fait ses études à l’Ohio State University. Il a ensuite travaillé dans une usine de pâte à papier. Un emploi qui dégoupilla une vocation en lui enfouie : l’écriture. La prose. C’était aussi une époque où Pollock était plongé dans une autre addiction, dont il ne parle pas bien qu’on peu s’en douter à la lecture : la drogue. Plus spécialement l’héroïne.
Lorsqu’il fut traduit pour la première fois en France, on dit de lui que Chuck Palahniuk en était fan. C’était en 2010, et ce premier livre fut porté par deux grands hommes de l’édition hard-boiled en France : Patrick Raynal, l’ancien patron de La Noire et de la Série Noire, qui amenait alors des livres aux éditions Buchet-Chastel, et le traducteur Philippe Garnier.
Ce premier livre portait le même nom que tout ce qui grouille en Pollock : Knockemstiff. Un recueil de dix-huit nouvelles au total, d’une quinzaine de pages chacune. En fait, ces micro fictions étaient toutes reliées entre elles, car elles présentaient quelques-uns des habitants de la ville natale de Pollock entre les années 1960 et les années 1990. Il y avait ce père qui gonfle son fils de stéroïdes pour pouvoir revivre par procuration son existence de bodybuilder raté, il y avait un paysan taré et solitaire qui tombe sur un frère et une sœur en train de forniquer et se sentait irrésistiblement attiré à se joindre à l’action, il y en avait d’autres tout aussi inoubliables. Tout y était : inceste, speed, alcool, violence, trucks… La panoplie complète.
Donald Ray Pollock peignait ses personnages et leurs aventures sordides sans chercher d’effet, mettant son lecteur mal à l’aise, entre admiration pour la démarche d’écrivain et détestation de ses personnages. C’est là qu’il désamorçait toute admiration de lecteur européen pour le lumpenproletariat rural américain -une réaction aussi chic qu’exotique d’un certain lectorat urbain français en mal d’idealisation ruralo-ouvriere.
Dès que vous aurez lu la première phrase de la première nouvelle (« Un soir d’août au Torch Drive-in quand j’avais sept ans mon père m’a montré comment faire mal à quelqu’un »), vous les lirez toutes. Une langue au vitriol. Une prose carrée, viscérale, diabolique, tonifiée par une pincée d’humour noir. Qui aime le défunt Harry Crews aime forcément « Knockemstiff ». D’ailleurs, le nome de cette ville a une réelle signification : « étends-les raide » !
Un deuxième livre
Tous ces ingrédients se retrouvent, mais différemment, dans « Le Diable, tout le temps », paru au mois de mars dans la si belle collection Terres d’Amérique des éditions Albin Michel.
Tous ces ingrédients, à commencer par, of course, Knoockemstiff. Quatre-cent habitants dans les années soixante,
« et en raison de Dieu sait quelle malédiction, que cela tînt à la lubricité, à la nécessité, ou simplement à l’ignorance, presque tous étaient liés par le sang; »
C’est là que débute, et s’achève, le roman. « Le Diable, tout le temps » s’étire entre 1945 et 1957, et est l’histoire d’Arvin Eugene Russell, orphelin de mère à dix ans, puis de père peu après. Après la mort de son père, Arvin quitte Knockemstiff. Et ce livre de nous raconter ses pas, sa route et tous les individus que celle-ci va croiser :
- Carl et Sandy Hendersdon, un jeune couple dont le passe-temps est de prendre des auto-stoppeurs pour les torturer, non sans les photographier. (« Il appelait Sandy l’appât, et elle l’appelait le shooteur, et tous deux appelaient les auto-stoppeurs les modèles »)
- un prédicateur qui mange des insectes en plein sermon
- des shérifs prêts à tout pour se faire réélire
- Roy, un prédicateur convaincu qu’il a le pouvoir de réveiller les morts et qui mange des insectes pendant ses sermons, et son acolyte Theodore, un musicien en fauteuil roulant. Ils donnent des représentations un peu cirque, avec une femme dont le visage semble finir par un bec, et qu’ils appellent Lady Flamant Rose.
- quelques membres de a famille Russell. Une mère bigote, un père détruit (« Quand du whisky ne lui coulait pas dans les veines, Willard se rendait à la clairière matin et soir pour parler à Dieu. Arvin ne savait pas ce qui était le pire, la boisson ou la prière ») et d’autres membres qui accueillent le jeune orphelin.
Ce livre, à la chronologie morcelée et désordonnée, prend de la
puissance à mesure qu’il s’enfonce dans la noirceur d’âme, tout en nou
s présentant une galerie de personnages si loufoques qu’ils dégagent presque du lyrisme.
Ici, ce ne sont plus des nouvelles ou des récits qui s’enchâssent, mais des destins. Des personnages que l’on suivra plus ou moins en alternance. Tous auront un rapport avec la vie d’Arvin.
Parti de Knockemstiff à la mort de son père, celui-ci y reviendra trois cent pages et quelques années plus tard, pour comprendre (venger ?) ce qui s’est passé. En une fin terrible, noire, huileuse, intensément émotive.
Road-movie et roman de formation, ce conte noir est aussi un livre sur l’Amérique de la période séparant l’après-guerre de l’époque Kennedy. C’est l’Amérique d’avant la lutte pour les droits civiques, où des GI sont revenus et vont repartir. C’est l’Amérique du sol et en armes.
Ici, tout le monde trompe tout le monde, et à un moment la violence sera le seul remède pour y mettre un terme. Ici, on n’arrange pas, on met un terme. Ici,
« Quelqu’un était toujours en train de mourir quelque part, et au cours de l’été 1958, l’année où Arvin Eugene Russell eut dix ans, ce fut le tour de sa mère. »
Mâtiné de Johnny Cash, quelque part entre Sailor et Lula, le western moderne et le hard-boiled à la Charlie Williams ou à la Jim Thompson, Pollock donne ici une brillante composition porté par la vengeance et l’émotion, imbibée de whisky et perforée par les balles.
Donc, si vous ne connaissez pas Knockemstiff, il faut d’urgence lire les eux livres de Donald Ray Pollock. Un auteur qui touchera aussi bien les amateurs de romans noirs à la Crews, Crumley, ou Brown, que ceux de John Fante ou Chuck Palahniuk.
Le Diable, tout le temps de Donald Ray Pollock, trad. C. Mercier, Albin Michel, mars 2012, 384 p, 20 euros
* Je suis un des programmateurs du festival lyonnais, depuis ses débuts en 2005
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