En mars 2002, « Braquages » était le premier roman d’un homme qui avait été : berger, caissier, magasinier, coursier, déménageur de décor, pianiste de bar, machiniste constructeur, peintre en bâtiment, musicien dans le théâtre, et romancier. Un très bon roman noir politique, qui se vit décerner le Prix Polar SNCF puis ressortir en poche.
L’idée de base : seuls des professionnels savent quoi faire de l’argent d’un braquo, mais seuls des amateurs ne courent aucun risque à en faire.
Mieux encore : des paumés, de ceux qui ont déjà tout perdu.L’histoire : des SDF utilisés pour des braquages à Paris. Le commissaire, républicain jusqu’au fond du gobelet de café, voit son fils dériver vers les groupuscules fachos.
Le contexte : une République où la finance s’impose à la démocratie.
Bon anniversaire Monsieur Roux
Dix ans plus tard, en mai 2012, Christian Roux fête ses dix ans de
présence en librairie avec un nouveau roman noir politique : un « Homme à
la bombe » extrêmement réjouissant. Entre temps :
• « Placards », « Les Ombres mortes » et « Kadogos » : trois romans noirs politiques
• Des nouvelles et novelas, ainsi qu’un roman jeunesse
• Deux albums
Mais revenons à ce nouveau livre, dix ans après le premier. C’est
d’abord l’histoire d’un déclassé, au tout début de l’été : Larry, ancien
ingénieur acousticien. Il a perdu son emploi, et sa femme avait
auparavant laissé tomber le sien lors de la naissance de leur fille.
Huit ans plus tard, la cellule a explosé et Larry se sert pour la
première fois de sa bombe.
Lors d’une énième entretien infructueux. C’est une fausse bombe, mais
elle fait son effet. Avec elle, Larry n’est plus désespéré, mais
désenchanté. Larry, c’est la face tragique du livre.
Mais voilà que, lorsqu’il se décide à faire un braquage, et au moment même où il entre dans l’agence, il se fait doubler par… la jeune fille rentrée juste après lui ! Bientôt rejointe par ses complices. Une scène dont la cocasserie ira croissant, puisque notre homme parviendra tout de même à sortir son arme factice, embarquer la jeune fille en otage, et prendre la tangente.
Larry a deux bombes : une fausse (la sienne), et une vraie (la fille). La seconde deviendra la face comédie du roman.
Une fois la course-poursuite entamée, les rôles ne cesseront d’alterner. Tantôt c’est l’un qui mène, tantôt l’autre. Larry deviendra aussi comique que Lucie, et elle aussi chargée de pathos que lui. Ce roman est une tragi-comédie sociale et burlesque.
Road-movie et fable sociale
Au fur et à mesure des kilomètres, des vols à la tire, des braquages,
des maladresses, des bastos et des planques, les deux s’appréhendent,
font connaissance, deviennent en tout complices. Mais, se méfiant l’un
de l’autre, ils se surprennent encore.
C’est ainsi qu’ils parviennent à surprendre le lecteur aussi. Jamais
Roux ne les fait aller là où on croit qu’ils iront. On s’attend à un gag
? On a droit à un flash-back chargé de fatalité ? On s’attend à des
violons et des caresses ? On assistera au retour de vieux démons.
Ca, c’est pour le road-movie. Mais « L’Homme à la bombe » est aussi une fable sociale.
S’il n’était que le portrait de deux déclassés et de deux éclopés de
l’amour (elle s’est plus ou moins laissée abuser par son père ; lui a
vécu une histoire avec une femme à présent morte, histoire qu’il n’avait
jamais abordé avec sa propre épouse, rencontrée après), le roman ne
serait qu’un « polar social » de plus.
Mais très vite, quelques signaux nous font comprendre qu’on est dans un
de ces romans où l’intelligence fait office de morale. Exemple : là où
90% des romanciers nous auraient annoncé dès la première page que Larry
est noir (donc victime, ou méchant, ou perdant), Roux met plusieurs
pages à nous le dire. C’est un détail, mais il prouve que l’auteur
privilégie une grille d’analyse sociale et littéraire qui exclut
l’idéologie et le didactisme. Il prouve que la narration sera sur l’os,
sur les faits, et que ceux-ci compteront plus que le déterminisme. Et
que Roux a confiance en sa lucidité.
A ceux qui pourraient penser que le livre n’est qu’une version française du « Couperet » de Donald Westlake, on dira qu’il y a certes de l’influence. Mais la raison pour laquelle ce roman est bien plus original et surprenant qu’il n’y paraît, c’est qu’il se laisse guider par un regard tantôt social, tantôt sensuel, tantôt familial (Larry reviendra donner de la fraîche à sa famille, avant-dernière pirouette de l’histoire), tantôt masculin, tantôt féminin, tantôt politique.
La multiplicité de ces regards nimbe le livre et l’élève.
Le livre est court, constitué de scènes courtes, qui respirent de leur propre existence et s’enchaînent ensuite les une aux autres, jusqu’à un final inattendu, en plein 14 juillet.
Quand on aura dit que les dialogues, qui ne sont portant pas une spécialité du polar français, sont ici d’un très bion niveau, vous aurez compris que ce roman est un gros coup de cœur. Quel cadeau (pour nous) d’anniversaire -pour lui- !
L’Homme à la bombe, Rivages/Noir, mai 2012, 160 p,7 euros
Pour en avoir plus sur l’auteur : http://www.nicri.fr/
Si vous voulez le rencontrer (ou le retrouver), deux possibilités s’offrent à vous :
- Dimanche 13 mai, 10h à 16h, signature et rencontres au Salon du livre libertaire, Espace d’animation des Blancs-manteaux, 48 rue Vieille-du-Temple, Paris IVe
- Du 26 au 28 mai, Festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo
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