La une de L’Equipe, ce matin |
« La France du foot perd sa voix » (L’Equipe), « La mort d’une légende » (lepoint.fr), « La planète foot est en deuil » (lenouvelobs.com) : depuis hier, le concert d’hommages à l’ancien speaker est une symphonie remarquable, sans fausse note. Rien de plus normal : la stature de Thierry Roland légitime une telle livraison d’émotion.
Même Rachida Dati s’est fendu d’un hommage sur Twitter…Mais l’ampleur du récital relègue au second plan la dimension franchement populiste du bonhomme, alors même qu’elle était souvent raillée de son vivant. A juste titre.
Pour ma part, j’ai volontairement laissé passer un jour, pour respecter le deuil et le recul nécessaire à un article de blog.
Un lien dédoublé
Et mieux pointer le lien dédoublé qui unit un amoureux du foot à la mémoire de Thierry Roland. Car d’un côté, ne relever que sa gouaille « gauloise » serait de mauvaise foi. Soyons francs : une carrière de 57 ans, faite de 1300 matches commentés en 13 coupes du monde et 9 championnats d’Europe (plus la boxe et l’athlétisme), une collection complète de tous les numéros de France Football (il était le seul au monde à l’avoir réussi), une connaissance parfaite de tous les joueurs, cela fait envie. Et c’est surtout le signe d’un professionnalisme hors norme, qu’aucun journaliste politique, et très peu de journalistes culturels, peuvent aujourd’hui revendiquer sur la place de Paris. Roland est une institution, et on aime les institutions.
Misogynie, esprit colonialiste
Mais d’un autre côté, comment oublier la misogynie du présentateur, sa tonne de sous-entendus racistes qui puaient tant l’esprit colonialiste ? Comment oublier qu’il accepta une interview dans Présent en 1997 (l’année même de son 7 d’or de meilleur journaliste sportif…), pour déclarer :
« C’est vrai que Le Pen est un peu excessif, mais c’est vrai qu’il y a certains points sur lesquels je suis d’accord avec lui. Notamment sur la sanction suprême, la peine de mort, à l’encontre des criminels s’attaquant aux enfants, aux vieillards, aux policiers. Surtout sur ce point là parce qu’il touche la vie de tous les Français. »
Il déclara alors s’être fait piéger, et ne pas savoir ce qu’était le journal Présent. Le croire serait insulter son intelligence et sa connaissance journalistique. D’autant qu’il en remettait une petite couche, le 28 janvier dernier dans Le Parisien, prétendant que Marine Le Pen ne le « faisait pas peur ».
Ces sorties sont aujourd’hui saluées. On parle de « franc parler légendaire », de « sympathique gauloiserie », de petites phrases d’un homme qui était l’ami de Michel Audiard et d’André Pousse, et qui passa un bon bout de temps aux Grosses Têtes. Elles étaient devenues son fond de commerce. Ces beauferies du dimanche-merguez étaient tout bonnement insupportables. C’est pourquoi, dans mon « DonQui Foot », je ne lui ai pas réservé d’entrées, préférant lui réserver une place de choix dans les « Nobel du football » à la fin de mon livre. Extraits :
- « Il n’y a rien qui ne ressemble plus à un Coréen qu’un autre Coréen. D’autant plus qu’ils mesurent tous 1m70 ! », durant le match amical Corée du Sud-France, avant la Coupe du monde 2002
- « Ils sont marrants, ces petits Coréens », durant cette même Coupe du monde
- « Pour les Marocains, le couscous est cuit ! », pendant un match Maroc-France
- « Honnêtement, Jean-Michel, ne croyez-vous pas qu’il y a autre chose qu’un arbitre tunisien pour arbitrer un match de cette importance ? », pour protester contre l’arbitre du 1/4 de finale du Mondial 1986 entre l’Angleterre et l’Argentine, arbitre qui venait d’accorder un but de la main à Maradona
- « Il faudrait confier l’organisation de la Coupe du Monde à des pays adultes », pour dire son avis quand à des Coupes du monde aux USA ou en Afrique du Sud
- « Alors là, Monsieur Foote, je n’ai pas peur de le dire, vous êtes un salaud ! », qui fut son premier fait d’arme du genre. C’était le 9 octobre 1976, lors de France-Bulgarie, à Sofia, contre l’arbitre écossais qui venait de siffler un penalty contre les Bleus à quelques minutes de la fin de la rencontre. Antenne 2 voulut le sanctionner, mais dut faire face à la réaction des téléspectateurs qui envoient des centaines de lettres de soutien.
Mr Foote vous êtes un salaud ! par Floyd-out
Ces saillies furent très minorées dans les hommages : on préférait
dire que, certes, ces phrases étaient politiquement incorrectes, mais
que Thierry Roland parlait comme la France et que c’est pour ça qu’on
l’aimait (soit le modus operandi même du populisme le plus originel).
On a beau dire (formule empruntée au défunt) : c’est impérieusement impardonnable.
Je suis d’une génération Thierry Roland
Mais voilà. Ceux qui aiment le foot le regardent et l’écoutent. En France, l’éclosion de la radio et télédiffusion des matches de foot fut possible grâce, avant tout à deux voix : Jacques Vendroux et Thierry Roland. Tous les autres (Père, Drucker, Larqué, Saccomano, Basse, puis Roustan, Gilardi, Josse, Canal et beIn) sont très importantes mais moins marquantes au regard de l’Histoire.
Je suis né en 1973, mon amour du foot s’accompagne forcément de la voix de Thierry Roland. Parce qu’il commentait la plus belle tragédie du foot moderne, par laquelle je vins au foot : ce RFA-France de Séville.
Parce qu’auparavant, il avait commenté l’épopée des Verts en Coupe d’Europe des Clubs Champions 1976. Légende que je découvrirais plus tard. Car il faut connaître l’Histoire. La connaissant, on sait qu’il n’y aurait pas eu de rêve bleu (ceux de Michel Hidalgo) s’il n’y avait eu d’épopée verte.
Parce que, pour quelqu’un de ma génération, et jusqu’à sa sale éviction de TF1 en 2004, les matches de foot furent vécus, aussi, avec lui. Et pourtant, je le détestais alors. Mais, pour un homme né en 1973 et fou de ballon rond, Thierry Roland, c’est les Mondiaux espagnols et mexicains, c’est le drame de Furiani en 1992, c’est la victoire de l’OM en 1993, ce sont les bérézina bleues des années 1990, c’est le « après avoir vu ça, on peut mourir tranquille » de 1998. Tout ça en direct.
Oui, pour un fondu de foot né en 1973, Thierry Rolland fait partie de l’inconscient personnel et collectif.
C’est à la fois très grave, docteur, et très poétique. C’est de l’ambigüité à l’état pur. Face pile : un homme quasi racialiste et franchement sexiste. Face : un Frédéric Dard du commentaire sportif.
Il fallait être sincère, et exprimer ici ces deux dimensions. C’est toujours pareil : ça va mieux en le disant.
Et comme l’écrit Vincent Duluc de sa si belle plume :
« La voix de Thierry Roland est notre madeleine de Proust. »
Modification le 18/06 à 16h19: Sur Twitter, l’ancien arbitre Bruno Derrien m’informe : « Cher Hubert, la décla sur les voleurs de poule n’est pas de TR mais de Dominique GRIMAULT sur le plateau de 100 % Euro en 2008″. Cette déclaration, entendue lors du match France-Roumanie de l’Euro 2008, était la suivante : « Les Roumains sont des voleurs de poules ! ». Elle n’était donc pas l’oeuvre de Thierry Roland, comme je l’avais cru après l’avoir trouvée ainsi sourcée chez divers confrères. Comme quoi, le déterminisme agit sur nos mémoires à tous… Dont acte, et correction.
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