14 juillet 2012

Football : les vrais rebelles jouent le dimanche soir, et sur Arte

Didier Drogba fut le coéquipier d’Anelka à Chelsea, et va le redevenir au Shanghaï Shenhua. Une passion pour l’argent (en juin, Drogba a signé pour 12,9 millions d’euros par an ; Anelka avait, lui, signé en décembre 2011 pour 10 millions) plus qu’une passion de foot.

Et pourtant, comme un symbole d’une époque, l’Ivoirien, une des dix plus grandes stars mondiales du football, est aussi un rebelle du foot.

Un de ceux qui, dans l’univers très bling-bling du football de haut niveau, osent parler. Un des rares qui, dans cet univers où les agents apprennent aux joueurs tout ce qu’il en faut pas dire, osent exprimer une idée.

Et une idée peut tout changer.

Deux ans après l’infâme grève de Knysna, perpétrée par des jeunes à qui l’argent à fait perdre toute idée de la citoyenneté, le film que vous pourrez voir ce dimanche sur Arte vient rappeler que le football est un sport. Que le sport, comme toutes les disciplines humaines, est, aussi, politique. Ce film documentaire s’intitule « Les Rebelles du foot », réalisé par les journalistes Gilles Perez et Gilles Rof, coproduit par 13 Productions, Cantobros (la société de la famille Cantona) et Arte France.

Diffusé à 20h40 demain soir, ce film est sorti en DVD au mois de juin. Outre le documentaire, on peut y voir deux courts entretiens avec Ken Loach et Lilian Thuram, ainsi qu’un petit film sur Eric Cantona et la Fondation Abbé Pierre. Le film des deux Gilles a également été diffusé en juin sur ESPN Grande-Bretagne. Rassemblant cinq portraits de « rebelles », il est en outre diffusé en « épisodes » sur la RTBF depuis le 20 juin. Un épisode de vingt-six minutes par joueur, qui forment au bout du compte une version intégrale de ce que vous verrez dimanche, dans où sont abordés des anecdotes et des histoires comme, par exemple, le retour en France de Mekloufi après la grande aventure de l’équipe du FLN.

Toujours est-il qu’il ne faut impérieusement pas rater « Les Rebelles du foot ». De quoi s’agit-il ? D’un manifeste autant que d’une série de cinq portraits. Cinq histoires reliées par une narration très cantonesque, puisque confiée à King Eric. Cinq portraits que Canto introduit avec cérémonie mais aussi avec humilité : celui qui appela les citoyens à vider leur compte en banque sans oser toucher au sien a bien conscience que ces hommes-là ont été plus loin que lui. Ils ont risqué de leur image, mais surtout leur vie et celle de leur famille.

(Voir la vidéo: extraits du film et d’interview des réalisateurs et « acteurs »)

Les vrais rebelles du foot par PadawanProductions

Didier Drogba

En 2004, en pleine guerre civile ivoirienne, il ignora les mises en garde de son club et de ses agents pour lancer, en direct des vestiaires, un appel à l’unité demandant aux deux parties de déposer les armes.

Devant son propre président, Laurent Gbagbo, il annonça qu’il irait présenter son ballon d’or africain à Abidjan aussi bien qu’à Bouaké, deux capitales de deux provinces qui se déchiraient alors. Ce jour-là, l’homme, transféré depuis peu au Chelsea FC de l’oligarque Roman Abramovitch, éleva l’image de son sport.

Carlos Caszely

Le Chilien fut, en 1973, un des rares footballeurs d’envergure à s’opposer et à défier ouvertement la dictature de Pinochet. Refusant de serrer la main du dictateur avant de se rendre à la Coupe du monde 1974 avec la sélection nationale, il mit en péril la vie de sa propre mère : s’il jouait alors en Espagne, cette dernière était, elle, restée au pays. Celle-ci fut séquestrée et torturée. Elle ne l’avoua qu’en… 1988. C’était dans un spot en faveur du Non au référendum-plébiscite organisé pour ratifier la présence au pouvoir de Pinochet jusqu’en 1997. Pour la première fois depuis quinze ans, l’opposition fut alors autorisée à s’exprimer. Un tel spot devint primordial dans la victoire (56%) du Non. Comme le fut l’image même de celui qui était surnommé le « Jimi Hendrix du football ».

Rachid Mekhloufi

Un des grands joueurs de l’équipe de France de la fin des années 1950. Star à Saint-Étienne, déjà sélectionné en Bleu, il devait aller à la Coupe du monde 1958. C’est-à-dire qu’il aurait dû être de la bande à Kopa, celle qui écrivit la première grande page du foot tricolore. Mais, plus ou moins contraint et forcé (ce que n’aborde d’ailleurs pas le fil), il choisit la clandestinité et « répondit » à l’appel du FLN.

Lui et d’autres « Français d’Algérie » évoluant dans l’hexagone choisirent les couleurs de leur pays. Quatre ans avant l’indépendance, l’équipe du FLN est une des plus belles pages de la politique sportive. Les souvenirs de Mekloufi, qui s’entretient dans le film avec Bernard Pivot, et d’Amar Rouaï, sont à pleurer.

Predrag Pasic

A pleurer, les souvenirs de l’ancien international yougoslave Predrag Pasic le sont aussi, lui qui après sa carrière de joueur (il participa au Mundial espagnol de 1982), et alors que les bombes tombaient sur Sarajevo, choisit de rester dans son pays en guerre. Oui, quand la plupart décidèrent de partir pour poursuivre leur carrière ou leur reconversion, lui choisit de rester sous les bombes. Dans une ville anciennement multiethnique qu’il voulait sauver. Grâce aux
enfants. Pour eux, il fonda une école de football. Il y aménagea un tunnel de secours.

Dans le film Pasic, raconte… le coach mental Karadzic ! Car, oui, celui-ci fut le psychologue du FK Sarajevo, avant de se transformer, comme le raconte Pasic, en « animal politique ».

 « Quand j’étais petit le foot ma enseigné un message, et je l’ai compris »,

dit-il pour conclure un portrait qui ne peut que provoquer des larmes, tant l’émotion y côtoie l’injustice et la justesse. Vivant avec la guerre et avec les enfants, sous les bombes et sous les balles, Pasic allait à l’essentiel :

« En regardant un enfant courir, on savait tout de suite s’il était traumatisé ou pas. […] Quand tu as perdu ton frère, tu ne cours pas pareil. »

On le sait peu, mais l’attaquant de Manchester City, Edi Dzeko est passé par cette école.

Socrates

Le film est dédié à la mémoire du grandissime « docteur » brésilien, mort en novembre dernier, qui aimait passionnément le football et la politique, et qui ne concevait pas l’un sans l’autre. Socrates, dont l’ancien club des Corinthians vient, comme le plus beau des hommages, de remporter la Copa Libertadores. Socrates, qui avec son bandana baba-cool et son nom prédestiné, fut le premier grand joueur sud-américain à prendre position contre la dictature militaire de son pays. Le grand Socrates qui, en 1980, avec quelques coéquipiers des Corinthians de Sao Paulo transforma le club en « Démocratie corinthiane ». Une pure autogestion (« On votait même pour savoir s’il fallait arrêter le bus pour pisser ! », dit dans le film un ancien co-équipier), mais surtout un grand acte citoyen : par des banderoles (« Vaincre ou perdre, mais toujours avec la démocratie ») ou des inscriptions sur le maillot (« Votez »), chaque match était un meeting politique pour la démocratie. Lors des élections provinciales, grâce au slogan  en finale du championnat.

http://videos.arte.tv/videoplayer.swf?admin=false&configFileUrl=http%3A%2F%2Fvideos%2Earte%2Etv%2Fcae%2Fstatic%2Fflash%2Fplayer%2Fconfig%2Exml&lang=fr&videorefFileUrl=http%3A%2F%2Fvideos%2Earte%2Etv%2Ffr%2Fdo%5Fdelegate%2Fvideos%2F%2D6791040%2Cview%2CasPlayerXml%2Exml&mode=prod&autoPlay=false&videoId=6791040&localizedPathUrl=http%3A%2F%2Fvideos%2Earte%2Etv%2Fcae%2Fstatic%2Fflash%2Fplayer%2F&embed=true&autoPlay=false

Au bout du compte et de ce grand film, c’est une certaine fraternité de destins qui est ici illustrée, à coups de courage d’hommes. De longs riffs de guitare accompagnent des témoignages aussi attendus (journalistes, anciens joueurs) que rares et inattendus (Tiken Jah Fakoly, Pivot, Loach, le père de Drogba). Le film est une pépite d’actes politiques et de passion sportive.

J’ai pu voir deux fois ce film, et à chaque fois l’émotion fut intacte. La seconde fois, c’était lors d’une projection parisienne au Musée du Quai Branly, une des dates de la tournée de promotion. Ce soir-là, une salle pleine a réservé une standing ovation de plusieurs minutes lorsque, après le film, montèrent sur scène Caszely, Mekloufi, Pasic avec un ancien de ses élèves, ainsi que Canto et les deux Gilles.

Gilles Rof est un confrère que je connais bien. Je l’ai cité dans la bibliographie du « DonQui Foot » car il m’avait fait passer « A jamais les premiers », coréalisé avec Perez en 2008 à l’occasion des quinze ans de la victoire de l’OM face au Milan AC. Un film également indispensable si l’on veut comprendre le lien d’identification et d’histoire entre une ville et son club.

Car le football n’est pas qu’une histoire de ballon, ni de ronds. Mais une question d‘Histoire. « Les Rebelles du foot » en témoignent avec force vie. Ne ratez pas ces vies-là.


Documentaire de Gilles Perez et Gilles Rof (90 minutes). Sur Arte le dimanche 15 juillet à 20h40. Et en DVD (Arte Editions, 15 euros)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire