Aujourd’hui est une date anniversaire pour tous les amoureux du foot en France.
« Voir Séville et mourir », dit-on souvent de ce match. Les Allemands le baptisèrent à posteriori ainsi : « la Nuit de Séville ». Ce match de football, qui est bien plus que du football. Cette demi-finale de la Coupe du monde 1982 est, avant tout, un repère.
Une date qu’on n’oubliera jamais. C’était il y a pile trente ans : le 8 juillet 1982.Ce dimanche, tous les passionnés en parlent. L’Equipe du jour fait une double page sur l’anniversaire. Vendredi, France Football publiait un (très bon) numéro spécial, avec en bonus le DVD du match.
Une tranche d’éternité
Ce France-RFA fut un de ces longs moments suspendus, qui réunit en un linceul tous les ingrédients d’une dramatique :
Le jeu : les Allemands développaient un football peu
léché, porté par de grands gabarits solides. Ils comptaient dans leurs
rangs le double ballon d’or 1980-1981, Karl-Heinz Rummenigge. Les Bleus,
eux, étaient la surprise de la compétition. Personne ne les attendait
là. Mais ils avaient montré un si beau jeu, et le « carré magique »
était si étincelant (Genghini-Tigana-Giresse-Platini), qu’ils faisaient
rêvé le monde orphelin depuis l’élimination du Brésil par l’Italie.
L’enjeu : pour les Bleus, cette date doit faire oublier
la dernière grande date (qui était alors la seule) du foot tricolore :
la quatrième place de la bande à Kopa et Fontaine en… 1958. Les
Allemands, eux, étaient champions d’Europe en titre, et favoris de la
compétition. Mais ils avaient été battus par l’Algérie lors de leur
premier match. Mais il y avait ce scandale de match arrangé avec
l’Autriche pour faire éliminer, justement, les Algériens. Les Bleus sont
les favoris de cœur.
Le suspense : les Allemands ouvrent le score, Platini
égalise ; 1-1 à la fin du temps règlementaire ; 2-1, 3-1 puis 3-2 et
3-3, quatre buts rien que dans la prolongation ; pour la première fois
de l’histoire, le sort d’un match de Coupe du monde se décidera aux tirs
au but.
La magie : les Bleus de 82 sont magiques, et ce match
fut un sommet. Les deux équipes avaient la volonté de jouer constamment,
dès la récupération de balle. Ce France-RFA est communément considéré
comme le deuxième plus grand match de l’histoire, juste derrière
l’Italie-RFA de 1970, juste devant le France-Brésil de 1986.
L’injustice : l’agression du gardien allemand
Schumacher, qui fonce genoux en avant sur le défenseur bleu Battiston,
qui perdra connaissance. On se rappellera toujours la scandaleuse
désinvolture dudit gardien, qui gagnera cette nuit-là son surnom pour
l’éternité : « le Boucher de Séville ». Et qui présentera, quelques
temps plus tard, des excuses très convenues au français.
Les non-dits : une affaire de femme entre Platini et Larios au sein de l’équipe de France.
La tragédie : Genghini et Battiston sortent,
victimes des agressions teutonnes. Michel Hidalgo doit opérer à deux
changements non prévus, qui perturbent ses plans. Les adversaires, eux,
n’ont aucun blessé en cours de match, et peuvent faire entrer de frais
remplaçants. Dont Rummenigge. Les Allemands se qualifient aux tirs aux
buts.
L’épilogue : les Bleus pleurent comme des majorettes.
L’équipe de France méritait mille fois de gagner, mais la défaite aux
tirs aux buts fut l’évènement qui la dépucela : ayant survécu à la
tragédie, elle était prête pour l’utopie et le spectacle. Si les Bleus
de Platini devinrent une des plus belles pages du football d’alors,
c’est à cette défaite héroïque qu’ils le doivent. Elle a crée une magie
qui a amené toute une génération au foot, car il y avait du rêve dans le
jeu, et de la couleur dans les souvenirs : le rêve bleue succédait à la
légende verte : l’épopée de Saint-Etienne (1975-80).
Ce 8 juillet 1982, il y eut une tranche d’éternité. Le temps s’arrêta, en pleine soirée. Cela dura trois heures. Cela finit par des larmes, des insultes, voire de la rage contre l’ennemi teuton. Mais aux larmes succéda la joie, pour les spectateurs, d’avoir vu ça. Et d’avoir redécouvert que, oui, le football arrête le temps. Les joueurs, eux, découvrirent qu’ils étaient capables de réaliser cela, et de le donner à vivre.
Pour tout un public dont je fais partie, cette demi-finale est d’abord un match de formation. Je suis ce qu’on appelle « un enfant de Séville », car je suis arrivé au foot par cet évènement. Un évènement qui, vraiment, ne fut pas que footballistique.
Avant Séville, et bien que le football hexagonal était riche de belles histoires, la France n’avait qu’un seul grand souvenir sur la scène internationale, une seule référence : l958. On y ajoutait le grand Reims des années 1950, et la récente épopée verte. Eventuellement : l’exploit bastiais de 1978. Le reste de l’album à souvenirs était fait de roustes, d’humiliations, d’incapacités, de complexes d’infériorité. Puis tout à coup, cette demi-finale, même perdue aux tirs au but, allait enfanter un Euro 1984 gagné. C’est ce jour de défaite que les Bleus apprirent la gagne.
Séville 82, c’est ce paradoxe. D’un côté l’attentat de Schumacher, de l’autre les buts de Marius Trésor et d’Alain Giresse durant les prolongations. C’est ‘entrée de Rummenigge durant les mêmes prolongations, le beau retourné de Fischer, les tirs au but manqués de Stielike, puis de Six, et enfin de Max Bossis.
Nous sommes tous des enfants de Séville
Cela aurait pu être la plus belle page du football tricolore, ce fut un de ses pires cauchemars. Ce faisant, elle devint un mythe.
Elle devint un mythe aussi parce que, pour les « enfants de Séville »
comme pour les autres, cette page d’éternité fut le socle sur lequel se
bâtit enfin une culture foot dans ce pays, la France, qui ne possède pas cette culture originelle. C’est ce jour-là que le ballon rond gagna ses lettres de
noblesse à la télévision. C’est ce jour-là que Platini devint plus que
le meneur de jeu extraordinaire qu’il fut, pour être Platini. Pour être
le football. C’est peu après que Marguerite Duras eut envie
d’interviewer Platini. C’est ce jour-là que le football devint non plus
un seul sport, mais une narration.
C’est à Séville, et en s’appuyant sur la récente légende verte, elle-même constituée sur l’injustice des poteaux ovoïdes de Glasgow, que le football entra dans l’histoire de France.
Séville, c’est un paradoxe : pour les amoureux du foot, le 8 août 1982 est en effet plus important que le 12 juillet 1998. Mais ce dernier n’aurait pu exister s’il n’y avait eu cette nuit sévillane, le boucher allemand, et le carré magique.
Les Bleus de 1982, c’est une magie pure.
Nous sommes tous des enfants de Séville.
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