La plupart des gens possédés par la littérature aime les nouvelles. Ils en picorent des recueils par paquets.
Notre inconscient collectif nous ramenant souvent aux origines, nous aimons lire des nouvelles qui viennent d’outre-Atlantique : la nouvelle américaine (Poe, Melville, Hemingway, etc etc) est, avec celles qu’écrivirent Russes (Pouchkine, Gogol, Tchekhov) et Français (Maupassant, Zola, Hugo) considérée comme ce qui s’écrit de mieux dans ce format.
Ça tombe bien : une collection en propose régulièrement, un mois sur trois environ. Vous la connaissez sûrement : Terres d’Amérique, lancée en 1996 aux éditions Albin Michel. Vous y avez lu Louise Erdrich, James Welsh (celui qui a lu « A la grâce de Marseille » ne l’oublie jamais), Donald Ray Pollock, Elwood Reid, Thom Jones, James Galvin, Sherman Alexie ; vous y avez lu le recueil « De Rouille et d’os » de Craig Davidson, dont Jacques Audiard a pris trois nouvelles pour en tirer le film éponyme.
Et vous y lirez « Le Jardin du mendiant », où vous verrez que la nouvelle canadienne va bien aussi, merci. Premier ouvrage de Michaël Christie, un canadien de vingt-huit ans, ce recueil rassemble neuf nouvelles qui, toutes, ont pour cadre Vancouver ou sa très proche périphérie. De nos jours.
La première nouvelle, « Numéro d’urgence », nous met en présence d’une femme désespérément seule, qui appelle les secours tout aussi désespérément. Non qu’elle soit malade, tombée, ou victime de quoi que ce soit. Non. Elle est juste tombée raide du dernier infirmier venu la voir un soir où elle en avait réellement besoin. Et depuis, il ne lui manque que cet être. Du numéro des urgences, on passe donc aux numéros d’une femme chez qui tout est urgence.
L’histoire suivante, « Rebut », est une des plus belles du livre. Elle n‘est pas ans rappeler le livre, devenu film, « Encore une nuit de merde dans cette ville pourrie » de Nick Flynn. Un grand-père installe des poulets tout chauds, en évidence sur le dessus d’une poubelle. C’est pour lui le moyen de renouer avec… son petit-fils, SDF dont il a retrouvé trace dans un reportage télévisé. Pour se rapprocher de lui, il vend sa maison et adopte quasiment sa condition. Le lien se reforme, entre deux hommes qui néanmoins restent des inconnus.
Dans la troisième, un jeune accro au crack confesse son addiction, quand apparaît devant lui… Julius Robert Oppenheimer, le physicien américain qui travailla sur les trous noirs mais aussi sur la bombe atomique. Problème : ce dernier est mort depuis 1967.
Vous l’avez compris : chaque nouvelle adopte un ton différent, une empathie différente aussi envers des personnages d’hommes ou de femmes qui sont jeunes, vieux, tantôt SDF, tantôt middle-class. Christie a eu la bonne idée de prendre ses personnages soit juste avant un virage de leur vie, soit juste après. Il profite ainsi d’une dramaturgie qui amplifie le propos, et peut dilater celui-ci jusqu’à mettre en scène un quartier diablement bien planté, dans lequel le destin des personnages trouve soit un écrin, soit un horizon, soit une lumière.
Mettre en scène une ville de plus de sept cent mille habitants, une
ville portuaire qui plus est, n’est pas chose aisée lorsqu’on choisit
d’y aller personnage par personnage. A vingt-huit ans, Christie est
parvenu à créer des personnages qui tragiques, qui comiques, qui communs
ou héroïques, qui sont aussi des archétypes. Créatures d’un auteur, ils
sont suffisamment (d)écrits et incarnés pour devenir des relais pour
une ballade littéraire dans Vancouver.
Une ballade que vous finirez parfois en pleurant, par exemple en
refermant « Le Figurant », avec ces deux jeunes zonards vivant dans un
sous-sol, et où l’un finira par enfoncer et trahir l’autre, déjà bien
malade.
On le sait, la littérature est un des moyens offerts à l’homme pour voir les choses toujours sous un autre angle. Ceux qui n’y croient pas le croiront après avoir lu l’ultime histoire, qui donne son titre au livre.
Les nouvelles racontent des êtres et des quêtes différentes. Et Christie, au moyen d’une grande maîtrise de la notion d’unité de lieu, de faire preuve d’une palette d’une belle largeur.
Si, après avoir lu ce livre, vous voulez d’autres nouvelles de Vancouver, vous vous apercevrez en fouillant le catalogue « Terres d’Amériques » qu’en 2009 était paru « Les caractéristiques de l’espèce ».
Un recueil moins centré sur la ville, même si elle e le décor majoritaire, mais dont les nouvelles racontent des violences urbaines, conjugales, sociales avec, pour reprendre le titre d’un des nouvelles, « Une certaine dignité ».
Notez que Michaël Christie, qui est une des belles découvertes de cette rentrée littéraire, sera présent ce week-end au festival America, à Vincennes, dont il sera très bientôt question ici. Le temps pour vous de lire « Le Jardin du mendiant ».
Le Jardin du mendiant de Michaël Christie, trad. de l’anglais (Canada) par Nathalie Bru – Albin Michel, septembre 2012, 317 p, 21.50 €
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