« Sous l’œil de Dieu » est la onzième apparition d’un grand personnage de la littérature new-yorkaise : Isaac Sidel, crée par Jerome Charyn. Avant sa première signature au Thé des Ecrivains ce mercredi, présentation du nouveau roman d’un auteur fort aimé ici.
Il est un des grands écrivains de New York, dont il fut, avec Paul Auster, le romancier à énigmes des années 1970-80.
Grâce à lui et à son personnage phare, on a connu un New York peuplé d’immigrés de la deuxième ou troisième génération. C’étaient des flics impuissants, des policiers corrompus, des petites frappes ou des clodos ; c’était le Bronx, le Queens, Harlem, Chinatown ou Little Italy. Le tout dans un décorum yiddish, moderne, toujours plus ou moins au bord de l’implosion. C’était une mégapole, mais c’était surtout une vie, un vacarme, une odeur, une sarabande.Jerome Charyn fut appelé « le Eugène Sue de la Grosse Pomme » par la presse française. Il fut aussi la dernière grande découverte de Marcel Duhamel, créateur de la Série Noire, qui vit en lui
Un Pagnol juif qui aurait eu Groucho Marx comme professeur
Après plusieurs romans sans public, Charyn se mit au roman noir. En 1974, il créa Isaac Sidel. Rencontré dans « Marilyn la Dingue » et « Z’yeux-Bleus », on revit ce dernier dans « Kermesse à Manhattan », « Le ver et le solitaire » (repris en Série Noire sous le titre : « Isaac le Mystérieux »), « Un bon flic », « L’Homme de Montezuma », jusqu’aux récents « Rue du Petit-Ange », « Citizen Sidel » (publié en 1999 aux Etats-Unis, en 2010 en France).
Sidel a évolué. Ses fidèles savent qu’il était devenu enseignant à l’Académie, maire de New York (dans « Rue du Petit-Ange ») et… colistier sur le ticket démocrate à l’élection présidentielle ! On l’avait laissé ainsi dans « Citizen Sidel ».
En cette mi-octobre est sorti, mondialement, « Sous l’œil de Dieu », où l’on découvre que les démocrates ont broyé les républicains aux élections. Sidel va devenir vice-président des Etats-Unis. Mais voilà : flic un jour, flic toujours. Sidel, bien qu’en passe de gouverner le pays, refuse de quitter son Glock et son âme de flic, poursuivants toujours, tueurs, véreux et criminels.
Dans « Sous l’œil de Dieu », le Bronx est dévasté par les incendies.
Le quartier est la cible de politiciens qui n’ont qu’une idée en tête :
le raser afin d’ériger un complexe militaro-industriel.
L’intrigue est une course contre la montre pour éviter que les hommes du
Pentagone et quelques milliardaires n’arrivent à leurs fins.
Mais les fans de Charyn savent aussi que, depuis « Citizen Sidel », il y a un profond renouvellement chez cet écrivain. Charyn a mis du Ellroy dans son moteur. En plus de l’intrigue décrite ci-dessus, il y en une autre. De l’espionnage, du politicien. Les élections sont donc terminées. Le nouveau président, J. Michael Storm, ancien gauchiste et ancienne gloire du base-ball rencontré dans « El Bronx », se trouve rattrapé par des scandales financiers que s’empresse d’exploiter le républicain Calder, encore à la Maison Blanche pour quelques semaines. Pour lui et ses acolytes, tout est bon pour décrédibiliser le vainqueur : photos volées, écoutes téléphoniques, alliances contre nature. Et Sidel, lui, est coincé entre l’ancien président, tordu, et le nouveau.
C’est aussi pourquoi il garde son Glock, et poursuit alors ses enquêtes.
Cette veine ellroyenne est ce qui, depuis « Citizen Sidel », nous donne plaisir à renouer avec ce personnage. Comme souvent en pareil cas, la saga commençait à s’essouffler dans son propre décorum. Regain de rythme et de thème, donc. Avec un personnage extrêmement fidèle à lui-même.
C’est d’autant plus sciant que, à la lecture de « Sous l’œil de Dieu », on s’aperçoit à peine que l’action s’y déroule en… 1988 ! Oui, il y a vingt-quatre ans. La saga ayant débuté en 1974, Charyn doit respecter le temps qui passe autant que l’âge d son capitaine, le quel ne pourrait pas être président en 2012.
Pour autant, téléphones portables mis à part, ce roman pourrait tout à fait se dérouler de nos jours.
C’est précisément pour cela qu’on aime Jerome Charyn.
Notez dès à présent que l’auteur est l’invité du grand entretien de Lire, dans son numéro de novembre prochain. Une interview que j’ai eu un grand plaisir à réaliser.
Et en attendant : venez le voir demain, au Thé des Ecrivains.
Sous l’œil de Dieu de Jerome Charyn, trad. Marc Chénetier, Eds Mercure de France, 272 p, 23,50 euros
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