Un centre ville avec des South Winners marseillais en train de commander un kebab qui aurait assurément triste goût, des voitures fonçant et klaxonnant le long des boulevards, un stade de l’Aube en liesse : à Troyes, cet après-match, dans un si doux dimanche soir, était une triple bénédiction.
La première est que cette victoire 1-0 sur les visiteurs était leur première de la saison.
La deuxième était que l’Estac, dernier du championnat au coup d’envoi, avait battu le premier, l’OM. La troisième raison de faire kermesse était que cette victoire est d’autant plus méritoire qu’elle fut l’œuvre d’une équipe décimée par l’absence de quatre blessés (Faussurier, Drouin, Bréchet, Grax) et trois suspendus (N’Sakala, Rincon, Thiago).Le tout dans un stade où avaient pris place 18 462 spectateurs (très bonne affluence, seule une tribune où les places avaient été mises à 45, 50 et 55 euros était quasi vide), dont une tribune de presse pleine à craquer.
Quand la générosité remplace l’orgueil
Lors de la conférence d’après-match, où il sourit de bout en bout, le coach troyen Jean-Marc Furlan insista bien sur ce point :
Les six derrière n’avaient jamais joué une minute en championnat
Et d’en profiter pour souligner que pour ce match, son équipe n’avait donc
Pas de stratégie, mais beaucoup de générosité
Soulignant aussi que ce match et ses joueurs avaient été portés par
la magie en plus des valeurs humaines et de la cohésion au quotidien. Ceux qui nous ont suivi savent que les joueurs ne méritaient pas d’avoir seulement deux points
Les Troyens en ont désormais cinq, et ont quitté la dernière place du classement. Ils sont dix-neuvièmes. Les Marseillais, eux aussi, ont quitté leur place. Ils étaient leaders, ils sont deuxièmes. Dans un match qu’ils dominèrent, et qu’ils auraient dû gagné grâce notamment à un Valbuena qui joua très juste, très vite, très bien, et surtout grâce une occasion i-m-m-a-n-q-u-a-b-l-e de Rémy (une tête smashée devant le but au lieu de simplement pousser le ballon au fond des filets (57e), ils se sont englués dans une défense troyenne très proche de ses milieux de terrain. Dans ces deux lignes resserrées, les phocéens se sont laissé surprendre.
Marqué à la 88e minute par l’équipe de ma ville natale contre celle de la ville de mon cœur, ce but fut à l’image de l’effet que me fait cette défaite : un coup de poignard, mais un sourire. Voir une telle équipe, dont la défense n’a jamais renoncé (mention spéciale au gardien Yohann Thuram-Ulien, qui est le jeune cousin de l’ancien grand défenseur des Bleus), et qui fut si bien coachée (deux entrées déterminantes à la pause, dont celle du futur buteur) l’emporter alors qu’elle démarrait le match dans le rôle du condamné, c’est un sacré moment. Le coup de poignard, c’est surtout que Marseille ne peut s’en prendre qu’à lui-même, que la paire Cheyrou-Kaboré n’est plus au niveau, que Rémy est à court de confiance donc de forme, que Gignac est salement blessé (fracture du cinquième métatarse, des semaines d’indisponibilité) alors que le début de saison de l’OM est en bonne partie de son fait. Que Marseille a perdu et que le PSG lui est passé devant, peut-être pour toujours -enfin cette saison.
Troyen de naissance, marseillais de cœur, un match nul du genre 3-3 ou 5-5 m’aurait bien arrangé : on aurait eu du spectacle, les aubois se seraient rassurés, et l’OM aurait assuré son fauteuil. A 1-0 : les Troyens ont assuré et se sont rassurés, et leurs adversaires repartent avec un zéro pointé et un blessé. Selon le jeu de mots le plus courant après match :
Marseille a perdu Troyes points ce soir
Quelque part, les Troyens ont gagné cette rencontre de la même façon que les olympiens gagnèrent leurs six matches au début de ce championnat : grâce à la force du collectif et l’astuce du coaching, alors que l’équipe n’avait pas de banc.
Nivet : le dégommeur de champions
Si ce match n’achève pas de déprimer footballistiquement le marseillais de cœur que je suis, c’est que le but troyen fut signé d’un type qui se spécialise dès qu’il peut dans le dégommage de champion : Benjamin Nivet.
Un type qui en est à sa dixième année à Troyes. Un meneur de jeu qui a débuté à Auxerre il y a quinze ans. Un numéro 10 de trente-cinq ans, utilisé comme joker hier : entré à la mi-temps, il a dynamisé le jeu troyen. Reprenant un corner à la 56e, il trouva la barre de Mandanda. Et à la 88e, il marqua ce but, reprenant une balle relâchée après un autre corner.
Une explosion suivit : le banc troyen, puis le stade de l’Aube entier, se levèrent. Ce but était une victoire pour le club et pour le joueur, mais il était moins marqué contre Marseille que contre le sort.
Donnant la victoire aux siens contre le leader de la Ligue 1 rappela à tous celui que planta le même Nivet contre l’Olympique Lyonnais le 4 février 2007, un but quasi similaire, marqué dans le temps additionnel, et qui donnait là aussi une victoire 1-0 sur l’équipe qui dominait alors l’hexagone depuis six ans. Nivet fêtait hier son 250e matche en première division. Pour cet anniversaire, il dut se contenter de six-sept journalistes restés dans la salle de presse après les interventions d’Elie Baup et de Jean-Marc Furlan, pour qui la salle était pleine.
Mais le héros, c’était lui : Benjamin Nivet.
Après les huit précédentes victoires troyennes, à la tête desquelles celles de 1978, de 2001, de 2002, en voici donc une nouvelle.
Voir mon club de cœur perdre dans le premier stade où, ado, je mis les pieds, ça fait mal. Mais vivre une belle histoire de dimanche soir, ça fait toujours du bien.
A vivre une telle victoire, on ne regrette qu’une chose : que Troyes, dont le stade n’est pourtant qu’à quinze minutes à pied du centre-ville, ne s’identifie pas plus à son club. Car un club de football, c’est infiniment plus que du sport. C’est un des multiples chapitres de l’identification d’une ville à sa propre histoire. Même si, certes, l’histoire de Marseille est bien plus forte et bien plus grande que celle de la ville qui l’accueillit et la battit hier soir…
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