Tout le monde en parle depuis le mois de septembre : « Tout seul » est le titre du livre-confession de Raymond Domenech, édité par Flammarion. En librairie dans deux jours, le 21 novembre, le livre a été donné en service de presse aujourd’hui. Et l’ancien sélectionneur des Bleus est passé au JT de TF1 ce lundi soir, inaugurant un plan média qui se poursuivra ce mardi par une conférence de presse toute domenechienne : il nous a été demandé de venir sans micro ni caméra… Raymond a écrit, et les journalistes devront gratter.
« Tout seul » est sous-titré « Souvenirs ». Premier bilan, après avoir lu le livre de A comme Anelka à Z comme Zidane : l’ouvrage, annoncé comme un journal de bord, est en fait une confession à posteriori de l’homme sur ses six ans à la tête des Bleus (les années 2004-2010). 365 pages s’appuyant sur de nombreux extraits d’un journal de bord qu’il écrit avoir tenu « jour après jour, ou presque » durant son mandat, et agrémentées de quelques flashbacks sur sa carrière et de son avis sur la « grande planète » du « football d’aujourd’hui ». Un livre où on remarque une absence, et on doit à la vérité de le signaler de suite : la mauvaise foi caractéristique de Domenech. Ici, c’est une confession à blanc. Tellement à blanc que certains passage annoncés comme des règlements de comptes ou des révélations en perdent presque de leur puissance de charge.
Alors, qu’y a-t-il dans ce livre ?
Il faut passer un avant-propos et un prologue pour entrer dans le vif du sujet. Dès les premières pages, Domenech relate sa version des évènements de Knysna, quand Lloris refuse de se désolidariser du groupe tout en ayant clairement conscience « qu’on va passer pour des cons ! » et qu’Evra ne peut que répondre « Tu ne me parles pas comme ça ! » à ceux qui tentent encore de dissuader le capitaine des Bleus en Afrique du Sud. Domenech écrit avoir illico pensé :
Bizarrement, la première idée qui m’est venue à l’esprit, c’est que les joueurs étaient incapables d’avoir pondu ce texte seuls, sur un ton aussi froid et en recourant à des termes que la plupart ne comprenaient pas
On avait su plus tard que c’était vrai.
Dès le prologue, il apparaît clairement que pour son auteur, son groupe est constitué d’immatures.
C’est pourquoi la première partie qui suivra sera presque un hommage à Zinedine Zidane, Lilian Thuram et Claude Makelele, donnant sa version des faits quant à leur retour chez les Bleus en 2005, et relevant leur investissement lors de la Coupe du monde l’année suivante, et ce fabuleux match contre le Brésil (« Je crois que je n’avais jamais vu Zidane à ce niveau »). Au sujet du coup de boule de l’idole en finale, Domenech relève seulement que
« ce drame a introduit un message négatif dans l’équipe au plus fort de la tension d’une finale de Coupe du monde »
Dans ces passages confessionnels pourtant, on remarque vite ce que
l’on savait déjà : en 2006, Domenech n’avait pas le pouvoir. Lui que
pourtant, à la veille de France-Italie de l’Euro 2008, Thuram prévient :
« Il y a des petits cons, entendez-moi bien, coach, des petits cons’. »
De cette absence d’autorité, l’ancien sélectionneur ne semble à
l’évidence pas s’être remis.
A travers son défenseur d’alors, c’est aux derniers champions
sportivement et citoyennement responsables que pense Domenech. Il
pointera plus tard l’absence totale de ces valeurs dans les générations
suivantes.
Talking ‘bout their generation
C’est cette génération toute entière dont les oreilles vont siffler à compter de ce lundi.
- Florent Malouda, dont Domenech note dans son cahier, ce 15 novembre 2006 : « Il va falloir le remettre en place. La gloire l’a rendu prétentieux et son jeu s’en ressent »
- Le « cas Trézéguet » et son « magnifique égoïsme »
- William Gallas, celui qui veut se détendre entre deux matches importants
- Franck Ribéry, qui « continuait à pourrir le groupe par ses attitudes de diva susceptible » avant même Knysna.
- Thierry Henry, le seul qui sort indemne de ce livre, et au sujet duquel Domenech plaide d’avoir privilégié l’affectif au sportif
- Yoann Gourcuff et son « monde de bisounours »
- Karim Benzema, qui a « la morgue d’un grand joueur sans en être encore un » (2008).
- Et bien sûr, Nicolas Anelka. C’est lui qui a droit au traitement le plus diffus. En 2006, il est « l’intérimaire du match. Il réussit des coups, mais ralentit le jeu, porte trop le ballon et ne vient pas à la percussion. Du vent ». Plus tard, il sera « la pointure au-dessus », puis un « fantôme », ou « une énigme ». Puis après la défaite devant le Mexique en 2010 : « Anelka a tué le groupe (…) au terme de ce naufrage, une image m’a réveillé un peu: Gallas et Anelka en train de rigoler après le match. Quelle inconscience. »
Domenech parle aussi de sa gestion des relations complexes entre Nasri et Ribéry, Gallas et Nasri, Henry et Ribéry. Il cite Ribéry adoptant la prose pour Viera : « Je vais le niquer, ce connard. Je vais le niquer ».
« Enc…, t’as qu’à la faire tout seul ton équipe de merde! »
C’est bien entendu sur la grève honteuse de Knysna, et sur l’affaire de la une de L’Equipe, que « Tout seul » est le plus attendu. Se disant « moins choqué par l’insulte que par le tutoiement » et plaidant ne pas avoir tout entendu à cause du brouhaha du vestiaire, Domenech écrit son verbatim de la scène. Il raconte qu’Anelka lui reprochait de toujours s’en prendre à lui, qu’Evra a tenté de calmer le jeu, lorsque l’attaquant lança :
« Enc…, t’as qu’à la faire tout seul ton équipe de merde! J’arrête, moi… »
« Il me manque le talent d’écrivain »
Deux ans après la fin de son mandat (975 000 euros d’indemnités après un arrangement avec la fédération), et après une reconversion cathodique ponctuelle (consultant sur Ma Chaîne Sports, participation à l’émission de télé-réalité de France 3 « L’étoffe des champions »), Domenech offre donc une confession pour remettre ses pendules à l’heure. Un livre qui va faire un tonnerre cette semaine.
Au moment où sort le livre, et malgré les récents bons résultats des Bleus de Deschamps, les footballeurs français sont mal aimés depuis… l’ère Domenech, précisément. « Tout seul » ne redorera pas leur blason, et n’est aucunement écrit pour ça.
Mais l’entreprise de Domenech, qui avoue lucidement en plein milieu de son livre de bord que lorsqu’il veut « traduire ce qui se passe », il lui « manque le talent d’écrivain » laisse après lecture un goût profond de contradiction, paraît contradictoire.
D’un côté, rompre la loi de la confidentialité du vestiaire peut se comprendre, pour lui qui n’est plus aux affaires. Quand bien même l’omerta du milieu et des vestiaires est un véritable code social dans les hautes sphères du sport, rien ne l’en empêche. Reconnaissons-lui d’avoir pris un recul de deux ans pour évacuer un peu de rage. Mais immédiatement après vient une autre idée : balancer ainsi sur Ribéy, redevenu pièce maîtresse des Bleus de Deschamps, c’est aussi lancer une boule puante. On n’ira pas, bien sûr, jusqu’à éprouver pitié pour le poète évoluant au Bayern, mais le cynisme de Domenech, autre caractéristique maison, n’en transpire que plus.
Bilan : un témoignage où Domenech n’épargne personne, y compris lui-même, mais livre qui laisse le même goût râpeux et cynique que son auteur. La satisfaction d’une volonté expiatoire d’un homme dont le métier fut une passion, un perpétuel retournement de veste et une guerre, exercé avec une philosophie dont la paranoïa devint le phylloxéra.
Tout seul, Flammarion, 365 p, 19.90 euros, en librairie le 21 novembre
Addendum au 20 novembre à 12 h: nous avons appris ce matin le tirage du livre. Il est de 20 000 exemplaires.
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