Oui, le football a une noble histoire. Mais, de même, le football de haut niveau professionnel est un navire amiral, dans la flotte de l’ultralibéralisme mondialisé.
Notamment grâce à des gens comme Frédéric Thiriez.
Rappel : ce matin, le Conseil constitutionnel annonçait l’annulation de la taxation à 75% des revenus supérieurs à 1 million d’euros prévue dans le budget 2013. rappelons que cette taxation, appelée « contribution exceptionnelle de solidarité », figurait au programme électoral de François Hollande.Or donc, quelques heures à peine après l’annonce par les Sages, Frédéric Thiriez, le président de la Ligue de Football Professionnel (LFP), a transmis un message à l’AFP. Il s’y réjouit « belle et indispensable victoire collective » pour le football français, et s’en félicite ainsi :
Le football professionnel a eu bien raison de se battre ! […] Depuis le début, nous tirons la sonnette d’alarme sur les dangers d’une telle taxation. Dangers pour le football français avec des conséquences désastreuses pour les clubs sans que les finances publiques s’y retrouvent, au contraire, avec l’exode des meilleurs joueurs
Rappelons que, dès le printemps, les patrons des « grands » (entendez : riches) clubs français s’étaient élevés contre la mesure du programme de Hollande. Le combat contre cette mesure était devenu le cheval de bataille de la LFP, comme s’il n’y avait pas mieux à faire. En septembre, Frédéric Thiriez avait condamné l' »effet désastreux sur la compétitivité du football français » qu’aurait cette taxe, dans un texte cosigné avec Jean-Pierre Louvel (président de l’UCPF, syndicat des clubs professionnels) et Philippe Piat (président de l’UNFP, syndicat des joueurs professionnels). Un argumentaire contre cette taxation avait été envoyé au Conseil constitutionnel. Y était notamment écrit :
Déjà confrontée à un coût du travail beaucoup plus important que ses concurrents européens et à une baisse de ses ressources due à la crise, c’est toute la filière du football professionnel français, forte de 25 000 emplois, qui va subir les conséquences très négatives d’une mesure fiscale irréfléchie dont le premier effet sera de diminuer l’assiette fiscale
On se rappelle que Jean-Michel Aulas, patron de l’Olympique Lyonnais parmi les plus libéraux du foot hexagonal, avait parlé de « proposition démagogique ».
C’est pourquoi Thiriez se réjouit à moustaches déployées ce 29 décembre.
Au-delà de sa réaction, qui est à la mesure de ses idées, et qui doit se respecter, ce qui choque est le choix de son vocabulaire :
belle et indispensable victoire collective
C’est donc une « victoire collective » de ne point participer au partage fiscal en période de crise. Payer le moins d’impôts possible, c’est une « victoire ». Et le déclarer ainsi, en plein hiver, à l’heure où des SDF dorment dans le froid de la rue, peut-être même parfois devant chez MM Thiriez, Aulas ou Ibrahimovic, ce serait un honneur.
Certes, cette mesure ne devait toucher que quelques footballeurs
parmi les 1 500 personnes que toucherait cette mesure. Certes, Mr
Thiriez, des Depardieu, des Noah, des sportifs, des financiers, des
artistes, ont toujours cédé à l’exil fiscal, depuis longtemps. Certes,
certains l’ont crié avec autant d’inélégance et d’absence de solidarité
que vous dans le choix de leur vocabulaire.
Mr Thiriez, cette annulation est, pour vous, une victoire fiscale. A
tout le mieux, une victoire personnelle et corporatiste. Mais non, Mr
Thiriez, ne pas payer des impôts à la mesure de salaires totalement
dénués de toute humanité, ça n’est pas une « belle et indispensable
victoire collective ». En football, une victoire collective, c’est
gagner un match, une compétition, c’est gagner une Champions League ou
une Coupe du monde, avec un groupe de 23 joueurs, un entraîneur et un
staff.
En football, une telle victoire génère une manne, donc des revenus, dont une partie est reversée pour financer les contrats sociaux que les citoyens ont, par l’intermédiaire de l’Etat, passés entre eux depuis plus d’un siècle.
En football comme dans toute la société, le comportement personnel et citoyen de celui qui gagne donne une idée de l’état de sa société. Celui qui fait gagner fait avancer la société, pas seulement son banquier. Si Michel Hidalgo est le plus grand homme du football français, c’est parce qu’il bâtit l’équipe de France du rêve bleu entre 1976 et 1984, mais c’est aussi parce que, en 1968, il avait cofondé le premier syndicat du football français.
Le football est ainsi : il y a ceux qui créent, relient, et restent dans l’histoire. Et il y a ceux qui préfèrent leurs banquiers et leurs sponsors, qui font grève à Knysna, et pour qui ne pas participer à l’effort collectif, fût-il fiscal, est une « victoire ».
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