Un jour de fin octobre, toute la rédaction de Lire en fit son favori pour le « Livre de l’année ». Pour moi aussi, « Le Diable, tout le temps » est le livre de l’année 2012. Décryptage d’une histoire qui doit à la littérature, à l’édition, mais aussi aux festivals littéraires.
Paru chez Albin Michel en mars, dans la si belle collection Terres d’Amérique, ce roman était le deuxième de son auteur, Donald Ray Pollock.
Connu avec « Knockemstiff » en mars 2010, le natif de la ville du même nom dans l’Ohio est une découverte que le lecteur français doit à Patrick Raynal, alors apporteur de projets pour les éditions Buchet-Chastel.Quand parut son nouveau livre cette année, son nouvel éditeur (Francis Geffard) pouvait s’appuyer sur la belle presse qu’avait eu « Knockemstiff », remarqué par tous les amateurs de littérature américaine, loué par ceux qui aiment les histoires de working class, de David Goodis à Jim Thompson en passant par Larry Brown. Pour autant, à ce jour, les ventes du livre culminent aujourd’hui à 2 395 exemplaires (chiffres Edistat). Il n’avait malheureusement pas été réédité, ni repris en poche, lorsque parut « Le Diable, tout le temps ». Ce sera chose faite début 2013, dans la collection Libretto des éditions Phébus. Précipitez-vous dessus.
Un livre, et la juxtaposition de deux lectorats
En mars 2012, donc, Pollock était un auteur salué par les « spécialistes », et n’avait jamais mis un pied en dehors de l’Ohio. En décembre, il était venu quatre fois en France, son livre avait eu plusieurs prix, et son nom était connu d’un public nettement élargi. Que s’était-il passé ? La vie, la témérité, la justice, l’audace, la magie.
Ce deuxième roman bénéficia de l’aura du premier : des articles de presse seraient forcément moins compliqués à obtenir. Ca n’était pas gagné pour autant. Pour appuyer leur auteur, les éditions Albin Michel choisirent de le faire venir à Paris. Pas gagné, là encore, puisqu’il n’avait jamais été plus loin que les frontières de son Etat. En vertu d’un partenariat entre les festivals America et Quais du Polar, à Lyon, Pollock vint donc en France le premier week-end d’avril.
Premier bingo : il avait acquis une visibilité plus grande, les journalistes comme le public ayant pu cette fois le rencontrer.
Deuxième bingo : son livre est un roman qui n’est que de loin un roman
noir, mais sa venue pour un festival polar le fit découvrir d’un public
(polar, donc) auquel son livre n’était pas forcément destiné. « Le
Diable, tout le temps » bénéficierait jusqu’au bout de la juxtaposition
de deux publics qui ne lisent d’habitude pas les mêmes livres : le
lectorat « littérature générale » et celui du polar. C’est une des clés
de l’histoire.
Une victoire des festivals littéraires
Après une belle presse obtenue dès le mois de mars, le festival Quais du Polar contribua à donner un élan au livre. C’est alors que Pollock revint une nouvelle fois en France. C’était pour Étonnants Voyageurs, à Saint-Malo, en juin. Cette fois encore, j’eus le plaisir d’animer deux rencontres où il était invité. A Saint-Malo, Pollock se retrouvait en face d’un public qui correspondait plus à son lectorat originel, et rencontrait surtout d’autres auteurs, de tous horizons. Une nouvelle fois, c’était un plaisir d’entendre son humanisme, d’écouter ce qu’il avait à dire sur sa vie bien chargée dans une contrée immobile, sur Knockemstiff, sur l’Amérique, sur la classe ouvrière, sur la fiction et l’amour envers ses personnages.
Il est des livres qui sont révélés par des festivals. Je l’ai dit dès, et depuis, cette édition malouine 2012 : « Le Diable, tout le temps » en fait partie. C’est à Lyon et à Saint-Malo que le roman de ce livre devint cette belle histoire qu’il restera pour toujours. Les festivals littéraires sont ce qui fait des livres, fictions magiques et immobiles, une culture vivante. C’est au cours d’un salon littéraire que le public entend ce que l’auteur pense du monde, et comment il le verbalise à l’oral. C’est dans ce genre de moments que la façon de vivre d’un auteur touche, ou pas, le public de la littérature. Durant ces deux festivals, Pollock, jamais loin de son épouse, toucha au cœur. Comme ses livres : je rappelle qu’il est tout bonnement indispensable de lire « Knockemstiff », d’un niveau tout à fait égal au roman suivant.
Un automne 2012
Pollock n’aurait dû venir que deux fois en France. Il vint en fait quatre fois. La première mi-octobre, pour se voir remettre en main propre le Grand Prix de Littérature Policière 2012, qui restera à jamais son tout premier prix en France. Des lauriers qu’il n’aurait peut-être pas eus s’il n’était venu à Lyon, où il rencontra le public polar qui les lui tressèrent.
Quelques jours après, alors qu’il était dans l’avion du retour, nous, à la rédaction de Lire, étions en pleine réunion pour élire nos « 20 meilleurs livres de l’année ». Quelques-uns d’entre nous nous étions déjà concertés pour porter « Le Diable, tout le temps » en tête de la liste, mais rien n’était acquis. En peu de temps de discussion, Pollock se dégagea pourtant nettement. C’est ainsi que le 29 novembre, Mr et Mme Pollock était à nouveau en France. Et Monsieur de fouler pour la quatrième fois une scène française, pour son premier prix de presse, chose importante pour un auteur.
A ce jour, le livre s’est vendu à 22 577 exemplaires (chiffres Edistat… d’avant les fêtes). Cela n’est pas fini, car la belle histoire est toujours en cours. Et la réédition de « Knockemstiff » est un évènement à noter illico sur vos tablettes de bonnes résolutions 2013.
« Le Diable, tout le temps » prouve une chose : le rôle essentiel des festivals littéraires. Son destin prouve aussi que la vie est belle à qui sait s’en donner le temps : né en 1954, Pollock était devenu écrivain après l’alcool, la drogue, après avoir travaillé dans une usine de pâte à papier. C’est en 2012 qu’il fut reconnu pour sa vocation devenue son métier et son identité : écrivain.
En bonus, une vidéo en Anglais, bien qu’enregistrée en France :
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