C’est ce lundi, à 18 heures en France et à 11h aux États-Unis, qu’aura lieu la deuxième cérémonie pour l’investiture de Barack Obama.
Une première eut lieu hier, en privé à la Maison Blanche, pour respecter la loi américaine qui indique qu’un président américain doit prendre ses fonctions un 20 janvier. La « vraie », la grande cérémonie en public devant le Capitole, se déroule donc ce lundi.
On se rappelle l’émotion ressentie le 20 janvier 2009. Cette année, après avoir été personnage de fiction, la vraie Beyoncé chantera l’hymne national, Kelly Clarkson interprétera « My Country Tis of Thee » et James Taylor chantera « America the Beautiful », autres chansons patriotiques américaines. Le poète latino Richard Blanco lira un poème.Car comme Clinton, Obama est un littéraire.
Et en ce jour de nouvelle investiture, c’est à Edouard Glissant que je pense, le poète et philosophe du « Tout-Monde ». Car, en dehors de ce qu’il représente et réalise politiquement, Obama est un homme du « Tout-Monde ». Un individu relié à l’histoire américaine mais aussi profondément relié au reste du monde. Il est le premier président américain dont les ancêtres n’étaient pas des propriétaires terriens, il est imprégné de l’esprit de la « mondialité » cher à Aimé Césaire, Edouard Glissant et à présent à Patrick Chamoiseau.
Aujourd’hui, c’est à Edouard Glissant que je pense. Parce qu’il est un penseur qui a formé mon rapport au monde et à la culture. Parce que les rencontres avec lui, disparu il y a presque deux ans maintenant, resteront parmi les plus belles émotions dues à ma profession.
La dernière fois que je le vis, c’était le 18 janvier 2009. C’était chez lui à Paris. Il venait de publier un court livre, écrit avec Patrick Chamoiseau : un éloge à… Obama, « L’Intraitable beauté du monde » (Eds Galaade). C’était un dimanche, je travaillais alors pour le site Rue89, et j’avais emmené mon rédacteur en chef, Pascal Riché, pour cette interview à quatre.
Pour Edouard Glissant, le nouveau leader des Etats-Unis était un homme qui a « l’intuition du monde » :
Il sait que ce dernier a une histoire, que cette histoire a précédé l’histoire des États-Unis, qu’elle est multiple et multimillénaire, avec des variétés infinies de conceptions sur la société et sur l’homme.
Interview d’Edouard Glissant et Patrick… par rue89
Dans leur court et très bel ouvrage, Glissant et Chamoiseau décrivaient l’élection d’Obama comme
le résultat à peu près miraculeux, mais si vivant, d’un processus dont les diverses opinions publiques et les consciences du monde ont jusqu’ici refusé de tenir compte : la créolisation des sociétés modernes, qui s’opposent aux traditionnelles poussées de l’exclusivité ethnique, raciale, religieuse et étatique des communautés actuellement connues dans le monde
Edouard Glissant était quelque part un héritier de Césaire : sans la « Négritude » du second, la « créolisation » du premier n’aurait pu exister. Glissant a cherché à définir une approche poétique et identitaire comme kit de survie des peuples au sein de la mondialisation : c’est la « Mondialité ». En digne héritier, Glissant, a creusé et labouré les concepts de « poétique de la relation », de « créolisations » incessantes des peuples de la Terre comme seule façon de mettre en symbiose homme et Terre, poésie et genre de vie, hommes et idées.
Pour s’extraire du frigide, du tout-financier et du trop-plein de
rationnel, rien de mieux qu’un poète dont les livres forment une
véritable assemblée d’archipels. De « Soleil de la conscience – Poétique
I » (1956) au « Discours antillais » (1981), de « La Terre inquiète »
(1955) à « L’Intention poétique » (1969), ou encore de « La Cohée du
Lamentin » (2005) au « Quatrième Siècle » (1994), l’œuvre d’Edouard
Glissant est une partition poétique unissant passé et présent,
imaginaires pragmatiques et utopies. Et surtout, elle est la symbiose de
la philosophie, le roman, l’essai et la poésie.
(Voir cet extrait d’une autre de mes interviewes pour Rue89, en 2008)
Glissant : le Tout-Monde contre l’identité… par rue89
Comme tous les écrivains antillais et caribéens, Glissant est marqué du sceau de la richesse composite, hanté par le mythe de la traversée (celle des populations africaines envoyées aux Antilles), et porté par le refus de toute domination occidentale. Pour qui reste utopiste, soucieux d’altérité et de compréhension, son œuvre reste une clé d’accès à la modernité. Il est un des seuls penseurs qui, de par son inventivité langagière et son écoute sans faille des mouvements du monde, peut être lue aussi bien par les travellers technos, les routards baba-cools et tous les autres nomades.
Depuis, l’écrivain et poète Patrick Chamoiseau, prix Goncourt pour
« Texaco » en 1992, s’inspire de ce travail sur la créolitude, et porte
cette « pensée tremblante » chère à son formateur : le « Tout-Monde ».
(Voir cet extrait d’une autre de mes interviewes pour Rue89, en 2008)
Glissant, le Tout-Monde contre l’identité… par rue89
En ce 21 janvier 2013 obamien, c’est aux livres et la mémoire d’Edouard Glissant que je pense.
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