16 janvier 2013

Foot et littérature : David Peace écrit sur Bill Shankly, celui grâce à qui les joueurs de Liverpool devinrent les Reds

David Peace fera paraître un nouveau livre sur le foot anglais, et il concernera Bill Shankly. C’est le site ActuaLitté qui nous l’apprend ce mercredi. Précisant que l’ouvrage a été annoncé pour le mois d’août prochain par l’éditeur de Peace, Faber and Faber.

L’écrivain a, toujours selon ActuLitté, précisé que son livre portera plutôt sur la retraite de l’homme après ses grandes années, c’est-à-dire après avoir entraîné le mythique Liverpool FC et le club d’Huddersfield… qui est l’équipe favorite de Peace.

Qui a expliqué :

 

J’ai écrit à propos de la corruption, du crime, d’hommes mauvais et de démons. Mais maintenant, j’en ai eu assez des hommes mauvais et des démons. Désormais, je veux écrire un livre à propos d’un homme bien et d’un saint

 

AcuaLitté de préciser :

Le livre, intitulé « Red or Dead », expliquera comment Shankly a réussi à faire de Liverpool la grande équipe que nous connaissons aujourd’hui. Nul doute que les Anglais apprécieront de même que les fans de football à travers le monde, car s’il est bien un genre où il difficile de trouver de bons livres, c’est bien celui du sport

 

David Peace

 

Rappelons tout d’abord qui est cet auteur, très fortement aimé ici, découvert en France en 2002 avec « 1974 », et qui depuis a vu huit de ses romans traduits en France. Tous chez Rivages.


Peace est le vrai nom de David, né en 1967 dans le Yorkshire. Son enfance et ses études dans l’Angleterre thatchérienne donnèrent la nausée à cet homme solidement planté à gauche : il partit pour Istanbul en 1992, afin d’y enseigner l’Anglais dans des cours aux particuliers ou des instituts d’hommes d’affaires. En 1994, il partit vivre à Tokyo, toujours professeur d’anglais. Il s’y maria, et c’est là qu’il devint écrivain. En 1999, il commença à publier la tétralogie « Red Riding Quartet », grand cycle décapant sur son Yorshire natal. Mettant en fiction des faits divers réels avec une langue et une structure radicalement minimalistes, Peace brosse le portrait de l’Angleterre de 1974 à 1983 : les années de la démolition de l’inconscient démocratique par la révolution thatchérienne. Le premier tome s’intitule « 1974 », puis vinrent « 1977 « , « 1980 » et « 1983 », publiés en France entre 2002 et 2005.

En 2006, ce fut le début d’un autre cycle sur l’Angleterre à présent sous joug thatchérien : « GB 84″, sur la grève des mineurs à laquelle le gouvernement répondit par les armes. Bientôt viendra « UK DK ». Entre temps, Peace a aussi entamé un cycle sur son pays d’adoption, le Japon, où il est retourné vivre en 2011, après une parenthèse anglaise : « Tokyo année zéro » et « Tokyo ville occupée » (2008 et 2010 en France).

 

Trop facilement considéré comme le simple Ellroy britton, David Peace est un peu comme la rencontre entre Robin Cook, les Clash, Joy Division, James Ellroy et Walter Benjamin. Une écriture chirurgicale dopée au stress et au GHB, une puissante verbalisation du Mal, un patchwork d’obsessions physiologiques, de dialogues autant que de monologues, et de manchettes de journaux. Comme tous les romanciers anglais de sa génération, ce sont moins les « modèles » de la génération précédente (Kinglsey Amis, Martin Amis, McEwan, etc) qui ont compté que la musique (Sex Pistols, Clash). Peace, autant que du roman criminel, c’est du roman culturel et du roman de classe sociale.

 


Peace aime venir en France, où il vint pour la dernière fois à Quais du Polar en 2011. Nous le vîmes très marqué par les récents séismes dramatiques au Japon.

 

Peace Football Club

 

En 2006, Peace publia « The Damned United » en Angleterre, un livre paru en France en 2008 sous le titre « 44 Jours – the Damned United », et adapté au cinéma en 2009. Il y racontait l’histoire de Brian Clough, « la plus grande gueule du football anglais », seul joueur de l’histoire à avoir déclenché une grève… de ses propres coéquipiers contre lui. Un égo titanesque qui, devenu ensuite entraîneur, parvint à faire du pâle club de Derby County, venu de la D2, le champion d’Angleterre 1971-72. Dans le foot british des seventies, celui de Bobby Charlton et de George Best, dont les clubs sont les grands d’Europe, Clough était alors une idole. Un adepte, aussi, du « Kick and rush » british, ces longs ballons balancés par les airs de l’arrière vers l’avant. Sa maxime : « Si Dieu avait décidé de nous faire jouer dans les nuages, il n’aurait pas mis de pelouse sur le sol … ». Donc, chez Clough, on courrait et on labourait. Clough remporta des Coupes d’Europe parmi les dernières du foot british pré-Heysel (Notthigham Forest 1979 et 1980). Mais il y eut cette année 1974, où il décida d’entraîner le grand Leeds United, celui de Billy Bremner, Allan Clarke, Johnny Giles ou Terry Yorath.
Des concasseurs de tibias, des briseurs de rêves prêts à mourir pour de la bière. Mais le meilleur club anglais du moment, et le champion en titre. En quarante-quatre jours, de juillet à septembre 1974, Clough les fit passer des toutes premières places aux dernières du classement. C’est ces jours d’enfer, ce concours d’alcool entre des joueurs qui ont trouvé à qui parler, dans lesquels nous plongeait David Peace, mixant les narrations et présentant un Clough sombrant dans la paranoïa.


Le livre valu bien des ennuis à son auteur, qui se trouva attaqué par certains de ses propres personnages, des joueurs du Leeds United de 1974, dont Johnny Giles et la famille du défunt Brian Clough.

 

Bill Shankly

 

Né en 1913, décédé en 1981, Shankly ne joua pas du foot ni ne l’incarna. Shankly fut le foot : culturellement, socialement et séculairement. Célèbre pour son palmarès comme pour ses maximes, l’Écossais, devenu icône, se retrouve tout entier dans une de ces fameuses phrases :

Certaines personnes pensent que le football est une question de vie ou de mort. Je trouve ça choquant. Je peux vous assurer que c’est bien plus important que ça

Joueur professionnel de 1932 à 1949, il remporta une FA Cup en 1938 avec le club anglais du Preston North End FC. Il fut sélectionné cinq fois en équipe nationale écossaise, en 1938 et 1939, avant de mettre un terme à sa carrière en 1949.

 

Après un premier entretien raté avec le Liverpool FC, Shankly entraîna successivement les petits clubs anglais de Grimsby Town FC, Workington AFC, et Huddersfield Town FC (où il vit éclore un certain Denis Law), entre 1956 et 1959. C’est  cette année-là que le grand Liverpool FC, alors en deuxième division, l’engagea. Ayant acquis une forte autorité et une aura de même, Shankly recruta des joueurs importants, notamment Ron « The Colossus » Yeats, premier grand capitaine de l’immense Liverpool des sixties. En 1962, le club monta en première division. Et dès 1964, il remporta le Championnat. L’année suivante, à l’occasion de la finale de la Cup que son équipe s’apprêtait à disputer contre Leeds, Shankly énonça une des maximes orgueilleuses qui feraient sa gloire :

Vous êtes les meilleurs. Les joueurs de Leeds sont honorés d’être sur le même terrain que vous

 

Il exigeait que ses joueurs se fassent respecter sur leur terrain, à Anfield Road. Shankly posait ainsi les bases des prochains succès des Reds. C’est d’ailleurs lui qui ferait jouer les Liverpuldiens tout en rouge (avant 1964, ils jouaient en rouge et blanc), « pour faire peur aux autres ». Sans lui, donc, jamais les Reds ne seraient vraiment devenus les  Reds.

C’est alors que Shankly qui recruta, entre autres joueurs et pour la somme dérisoire de 33 000 livres sterling, un joueur qu’il allait révéler : Kevin Keegan. Dès 1973, les Reds gagnèrent la Coupe de l’UEFA puis, à nouveau, le titre de champion national. L’année suivante, ils remportèrent une nouvelle Cup. C’est alors que, âgé de soixante ans, il décida de prendre sa retraite, laissant la place à son adjoint Bob Paisley, qui offrirait au club ses premières Coupes des Clubs Champions, gagnerait encore UEFA et plusieurs titres nationaux. Sans Shankly, les Reds n’auraient jamais eu cette culture de la gagne. Sans lui, les Reds n’auraient jamais été les Reds.
Il disparut le 29 septembre 1981, des suites d’une crise cardiaque qui l’avait frappé trois jours plus tôt. Sa vie durant, l’entraîneur avait été un homme du peuple, dans tous les sens du terme. Chaque jour, il prenait le temps de répondre personnellement aux lettres que lui adressaient les fans du pays tout entier, allant parfois jusqu’à les appeler chez eux. Jusqu’à sa mort en 1981, il ne fréquenta que les hôpitaux publics, refusant catégoriquement d’être soigné en clinique privée.
Communiste revendiqué, Shankly passa à la postérité pour des phrases absurdes et essentielles sur la politique, la vie et le football, dont voici quelques pépites :

 

La pression, c’est travailler à la mine. La pression, c’est être au chômage. La pression, c’est essayer d’éviter la relégation pour 50 shillings par semaine. Cela n’a rien à voir avec la Coupe d’Europe ou la finale de la Cup. Ça, c’est la récompense

 

Ma vision du communisme n’a pas grand-chose à voir avec la politique. C’est un art de vivre. C’est de l’humanisme. Je crois que le seul moyen d’y arriver dans la vie, c’est l’effort collectif. Il faut que chacun soit prêt à travailler pour l’autre, il faut s’entraider pour que chacun retire les bénéfices de l’action commune au bout du compte. J’en demande peut-être beaucoup mais c’est la façon dont je vois le football et dont je vois la vie.

J’étais le meilleur à mon époque et j’aurais dû gagner plus de titres. Mais je n’ai jamais eu recours à la fourberie. Je donnais toujours le maximum. Si j’avais joué contre ma femme, je lui aurais cassé la jambe pour gagner mais je ne l’aurais jamais prise en traître

Avec trois Écossais dans son équipe, on peut espérer gagner quelque chose. Au-delà, on ne récolte que des ennuis

 

Quand vous êtes premier, vous êtes premier. Quand vous êtes deuxième, vous n’êtes rien

 

Et, donc, ce mythique :

Certaines personnes pensent que le football est une question de vie ou de mort. Je trouve ça choquant. Je peux vous assurer que c’est bien plus important que ça


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