Après un coup de cœur français, un grand plaisir de lecture venu d’ailleurs. Des Etats-Unis. « Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn » est un des romans américains portant sur les interventions militaires en Irak ou en Afghanistan que vous pourrez lire en cette rentrée : on reparlera ici de Kevin Powers ( « Yellow Birds « , Stock), de Nick McDonell (« Mission accomplie » et « Le Prix à payer », Flammarion) et de Stephen Dau (« Le Livre de Jonas », Gallimard, mi-février).
C’est en 2008 que nous avions découvert Ben Fountain, avec un recueil de nouvelles intitulé « Brèves rencontres avec Che Guevara », publié chez Albin Michel après s’être vu décerné le prix Pen Hemingway aux Etats-Unis. Des nouvelles tantôt réalistes, tantôt oniriques, tantôt encore bien barrées.
Trois caractéristiques présentes dans le premier roman de l’Américain, toujours chez Albin Michel, toujours dans la collection Terres d’Amérique.
« Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn », c’est « Un pays, deux semaines, huit héros américains ». C’est un roman de rock stars, sauf que les rock stars sont des GI. Membres d’une division américaine envoyée sur sol irakien, et qui s’est sortie d’une fusillade avec des insurgés. Trois minutes filmées au rythme des roquettes par Fox News, et qui ont depuis tourné en boucle sur You Tube.
Les huit survivants sont devenus des héros, conviés par l’administration Bush à faire une tournée aux Etats-Unis, pour motiver l’effort de guerre : c’est la « Tournée de la Victoire ». Une tournée qui doit se clôturer par leur présence à la mi-temps du grand match de football (américain) de Thanksgiving à Dallas. A la mi-temps duquel il est programmé une ovation pour les militaires, qui seront accompagnés par les Destiny’s Child, qui est encore (on comprend que le roman se déroule peu avant les élections présidentielles de 2004) le groupe de Beyoncé. Oui, ce groupe qui a récemment annoncé qu’il allait se reformer.
Cette tournée doit être une sorte de revanche du 11 Septembre, du moins une mise en scène de cette revanche. Elle doit également servir les intérêts électoraux républicains, s’apercevront nos GI, de Washington à Dallas en passant par Philadelphie, Richmond, Cleveland, Minneapolis, Columbus, Denver, Kansas City, Phoenix, et remarquant qu’il s’agit de villes et d’Etats dont le vote est encore incertain.
Parmi les soldats en goguette, Billy Lynn, dix-neuf ans, qui se retrouve héros du jour. Sauf que le jeune homme n’est entré dans l’armée que pour échapper à quelques mois de prison. Et sauf que, pour lui comme pour tous les autres, rien ne se déroulera comme prévu. Imaginez ce qui peut se passer dans la tête de jeunes soldats, ayant vu la mort de près, lorsque, revenus au pays pour qui ils sont en croisade bushiste, ils retrouvent des concitoyens pour qui la vie, la mort, le sport, la guerre et la politique sont restés un spectacle durant lequel on mange du pop-corn et on parle affaires… Coincés entre des milliardaires texans, des pom-pom girls et des footballeurs décérébrés, l’administration Bush et le show-biz, les hommes de l’escouade Bravo (c’est le nom donné à la division lors de la tournée) ne pensent qu’au sexe et à la défonce. Histoire de ne pas trop penser à l’Amérique, ni à tout ce qu’ils vont devoir retrouver en Irak après la tournée. Pour eux, cette tournée devient aussi une guerre.
Lynn retournera-t-il au front ? C’est un des enjeux du livre, et surtout de sa narration : l’histoire est essentiellement centrée autour du match à Dallas, tout en racontant à rebours ces quelques jours de tournée. Ainsi bâti, le roman se déploie ensuite entre les dialogues de nos personnages et des introspections du soldat Billy Lynn, jeté en pâture après avoir été envoyé à la guerre :
Sa réalité à lui est esclave de leur réalité ; ce qu’ils ne savent pas l’emporte sur tout ce qu’il sait. […] Leur réalité commande, sauf en ceci : elle ne peut pas les sauver. Elle n’arrêtera aucune bombe, aucune balle. Il se demande s’il existe un point de saturation, un nombre de morts qui finira par briser en mille morceaux le rêve de l’Amérique. Combien de réalité peut supporter l’irréalité ?
Tout l’intérêt de « Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn », et le talent de son auteur, est de montrer ici qu’après la guerre de terrain, la guerre devient un spectacle en Amérique. Les GI deviennent de la chair à fierté et à divertissement. Tous les producteurs, scénaristes, journalistes, auteurs, veulent raconter, reproduire, scénariser, les exploits de l’escouade « Bravo », et surtout leur vie. Et s’il leur faut broder, ils broderont.
« Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn », roman aussi réaliste que correctement cintré, est en fait un roman sur la société du spectacle.
C’est surtout un roman guidé, porté par un personnage de ceux que vous n’oublierez plus : Billy Lynn.
Finaliste du National Book Award 2012, « Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn » est en cours d’adaptation cinématographique par Simon Beaufoy, le scénariste (récompensé d’un Oscar et d’un Golden Globe en 2009) de Slumdog Millionaire.
Lisez, vous n’oublierez pas.
Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn, Albin Michel, trad. M. Lederer, 410 p, 22 euros
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire