21 février 2013

«Syngué sabour» : preuve de patience

Prix Goncourt 2008, le roman « Syngué sabour – Pierre de patience » arrive cette semaine  sur les écrans, porté par la puissance singulière d’un récit claustro sur la guerre, et par le rayonnement envoûtant de la comédienne sans qui le film ne serait pas ce qu’il est : Golshifteh Farahani.

C’est la deuxième fois qu’Atiq Rahimi porte à l’écran un de ses propres livres, neuf ans après « Terre et cendres », déjà une réflexion poétique et tragique sur l’Afghanistan.

 

 

 

 

Lent, mais patient

 

Le roman était bâti sur un monologue intérieur, qui regardait régulièrement  ers l’extérieur avant de revenir au-dedans, pour fuir le contexte : la guerre à Kaboul. Le film reste très fidèle au livre. Durant la guerre civile des années 1990, les bandes de moudjahidin rivales s’affrontent dans les rues de la capitale. Dans ces rues, un portail arraché, un jardin dévasté, menant à une maison qui tient encore debout. Là, depuis des jours, une femme veille son mari, plongé dans le coma, une balle dans la nuque. Elle lui caresse le visage, elle le lave, elle lui parle pour le forcer à se réveiller. Les deux petites filles du couple, sur lesquelles ont saura la vérité plus tard, sont là aussi, trop apeurées pour se rendre compte de l’étendue du drame familial et national. Tout, dans les premiers plans, nous rappelle qu’on est exactement entre la vie et la mort.

 

Bientôt, l’imam sonne, ne pouvant donner que petit réconfort. Bientôt, les chars tonnent, ils détruiront petit à petit ce qui reste du jardinet. Des hommes sont à la recherche du mari, qu’il faudra bientôt dissimuler dans une remise.

Plus tard, les fillettes seront logées par la tante, permettant ainsi à notre épouse de demeurer seule devant la guerre, devant la mort, et aux côtés de l’époux. Elle lui parle. Elle revisite leur vie commune. Elle lui raconte le dehors, où à présent les voisins sont morts.

Aux effusions du cœur succèdent vite d’autres expressions, d’autres vérités, d’autres sentiments, d’autres ressentiments aussi : l’époux, toujours au front pour le compte d’une des bandes de moudjahidin, était absent même à son mariage : « Je me suis mariée avec toi sans toi », dit la jeune femme.

 

La violence des mots enfle, l’épouse se surprenant alors à exprimer ce qui était enfoui en elle : ses peurs, ses humiliations, ses souffrances, ses frustrations, ses secrets. C’est ensuite tout à fait volontairement qu’elle exprimera tout ce qui lui passe par les souvenirs et par le cœur. C’est alors que le comateux devient une « pierre de patience » : sur sa peau glissent ou se frottent toutes les confessions possibles, libérant le confident.

 

L’épaisseur du film se trouve précisément dans cet entre-deux permanent : ça glisse ou ça frotte, il y a le caché et le visible, la liberté est entre le bien et le mal. Il y a la guerre, l’urgence, mais dans cette maison la mort et la vie se côtoient dans la patience.

Certes, le début du film est bien trop lent, et utilise trop de scènes inutiles à la mise en contexte et retardant le face à face dans lequel nous plongeait rapidement le roman. Mais passé ce premier quart, Rahimi semble laisser vivre ce qu’il filme, prend de la distance, et laisse le suggéré opérer.

Les non-dits deviennent alors plus importants que la confession. De belles ellipses nous rappellent la guerre, comme cette explosion nocturne qui passent comme un éclair, nous ramenant ensuite au lendemain et à la confession.

 

Un huis-clos où tout est effraction

 

« Syngué sabour » est un huis-clos, et tout ce qui y est autre arrive par effraction : l’imam, les moudjahidin en arme -parmi lesquels, plus tard, ce jeune qui s’éprend de cette épouse qui se fait passer pour prostituée-, même la parole, qui avant n’avait pas sa place, semble l’avoir gagné par les armes : celle de la féminité, de la liberté. Ce qu’écrivait Rahimi dans le roman, et qu’il écrit toujours ici, c’est la mutation du rapport maître-esclave dans une société où les femmes n’ont que le droit de la burka.

Syngué Sabour – Pierre de patience Extrait vidéo (2) VO

 Par effraction, sans détour, sont ainsi évoqués le désir féminin, la liberté sexuelle, la naissance de l’amour. A mesure que l’épouse opprimée s’émancipe par les mots, elle s’abandonne à l’inconnu.

Le récit devient alors de plus en fiévreux, intense, sensuel… et dangereux. Nous irons avec elle jusqu’à la vérité ultime : la naissance des enfants. Le cœur du couple. C’est alors que quelque chose changera, dans la pièce…

 


Un film, et une femme

Hymne au désir, chant d’amour à la féminité, récit claustro traversé par la souffrance et l’identité, « Syngué sabour » est un film qui prend son temps, et finit par faire son effet. Un effet en grande partie dû à la puissance de l’interprétation de Golshifteh Farahani, envoûtante. L’actrice, Française d’origine iranienne, privée de son passeport et bannie de son pays d’origine depuis qu’elle a tourné à Hollywood (« Mensonges d’Etat » en 2007), fut poussée à l’exil par le poids de l’intégrisme. Personne ne pouvait mieux qu’elle interpréter cette épouse entre cris et chuchotements, cette jeune Afghane qui s’émancipe dans le chaos le plus pur. La beauté de Golshifteh Farahani, beauté extrême en tout, provoque un dialogue inédit avec le mort, mais aussi avec le spectateur.

 

Syngué Sabour – Pierre de patience Extrait vidéo (3) VO

Syngué sabour, pierre de patience d’Atiq Rahimi – Scénario : Atiq Rahimi et Hjean-Claude Carrière – Avec : Golshifteh Farahani, Hamid Djavdan, Hassina Burgan, Massi Mrowat – Durée : 1h42 – 98 copies en France

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