25 octobre 2013

Grève des clubs professionnels : quand les patrons du foot la jouent «citadelle assiégée»

Ils avaient menacé, ils sont passés à l’acte. Ce jeudi 24 octobre, c’est à l’unanimité que les clubs de football professionnels ont décidé d’organiser une « journée blanche » le dernier week-end de novembre (29, 30, ainsi que le 1er décembre). Pour protester contre la taxation à 75% sur les très hauts revenus, la quinzième journée de L1 sera reportée, ainsi que la 16e journée de L2.

 

Un mouvement impopulaire

 

Vendredi dernier, suite à la menace des présidents de Ligue 1 et de Ligue 2, L’Equipe titrait « La lutte sans classe ». Surfant sur le mécontentement général contre la hausse des impôts, les présidents de clubs professionnels sont restés drapés dans leur corporatisme et ont voté cette « journée blanche » qui veut dire grève.

Sauf que ce vote arrive après un sondage catastrophique : ce n’est qu’un sondage, mais il surligne une réalité qui en dit long. Cette décision arrive trois ans après qu’une grève, déjà, honteuse celle-là, ait déchiré le lien entre cette équipe et ses citoyens : Knysna, grève de riches sur le continent le plus exploité de la planète.

Forcément, ce mouvement de grève du 29 novembre sera impopulaire. Les dirigeants du foot le savent bien. Mais ils passent outre. Se réfugiant derrière une opération « »portes ouvertes » dans les stades ledit week-end, pour accueillir les supporters et leur expliquer les raisons du mouvement.

 

Le précédent de 1972 : la grève, Séguin, et la convention collective

 

Grève : un mot qui fait partie de l’histoire de France. Synonyme de blocage, voire prise d’otages, pour certains. De luttes sociales, de combat pour l’avancée des droits et un meilleur équilibre de la justice pour d’autres. C’est ce mot, aussi, qui donna naissance à une notion, une philosophie : les acquis sociaux.

Grève : un terme qui fait partie de l’histoire du football hexagonal, même si ce type d’action demeure un fait rare. La dernière remonte à 1972, et c’était déjà le dernier week-end de novembre. Les 27 et 28 du mois, l’Union Nationales des Footballeurs Professionnels (UNFP), crée onze ans plus tôt, avait organisé son congrès à Versailles. Furieux, les patrons de clubs avaient même organisé des « matches amicaux de dernière minute afin d’empêcher les joueurs de se rendre à Versailles ». Suite de la suspension des joueurs de Lyon, emmenés par un certain Raymond Domenech, pour leur présence à Versailles, une grève avait été déclenchée le 2 décembre. Il s’agissait d’agir contre la volonté des clubs de contourner le récent contrat à temps, le « contrat à durée librement déterminée » crée en 1969. Ne voulant ni perdre la face, ni donner trop de parole aux sportifs, le secrétaire d’État à la Jeunesse et aux Sports d’alors, Joseph Comiti eut l’idée de solliciter une personnalité extérieure au monde du football pour rédiger un rapport sur la question du professionnalisme. Un homme se porta candidat, alors âgé de vingt-neuf ans et passionné de football. Un jeune énarque, auditeur de la Cour des comptes nommé Philippe Séguin. Il rédigea un rapport sur l’état du football national, un rapport dont toutes les propositions débouchèrent sur des mesures concrètes : la rédaction d’une charte du football professionnel en 1973, véritable convention collective. La grève l’avait emporté, et le contrat ne fut pas remis en cause.

2013 : l’UNFP suit les patrons

 

Signe des temps : aucun joueur n’a encore réagi au vote de ce jour. Dès le 18 octobre, le président actuel de l’UNFP, Philippe Piat, d’habitude très bellement inspiré, avait déclaré dans L’Equipe (18 octobre) :

Nous (le syndicat, ndla) serons solidaires des clubs

Mesure phare de la campagne électorale de François Hollande en 2012 projet d’une taxe à 75 % sur la tranche des revenus supérieurs à 1 million d’euros s’était illico attiré les foudres du milieu du football professionnel. Jean-Michel Aulas, le boss de l’Olympique Lyonnais, avait parlé de mesure démagogique.

Quand, fin décembre dernier, le Conseil constitutionnel avait censuré le projet initial pour « rupture  d’égalité » entre les foyers fiscaux, le premier à se réjouir se nommait Frédéric Thiriez, président de la Ligue Professionnelle de Football. Le combat contre cette mesure était devenu son cheval de bataille. Une raison de vivre. Une occasion de rire, en cette fin d’année 2012. Une raison de sévir, en ce dernier trimestre 2013.

L’Elysée avait ensuite mis de l’eau dans son vin, et proposé une version du projet visant à faire payer la taxe non par les salariés, mais par les entreprises (avec un plafonnement à 5 % du chiffre d’affaires : soit pas mal d’eau dans ce qui n’était même plus du vin). Ce n’était plus à Ibrahimovic de payer, mais au PSG.

L’Assemblée nationale vota cette nouvelle mouture, le 18 octobre dernier. Un texte de loi qui doit encore voyager au Sénat, puis en deuxième lecture par les députés. C’est durant ce trajet législatif que les présidents de clubs ont décidé d’attaquer à l’arme forte.

 

 

 

C’est vrai : les clubs sont victimes

 

Les motifs sont simples : le projet va affaiblir les clubs français, les fonds étrangers récemment arrivés (Qatar à Paris, Russie à Monaco) iront investir ailleurs, le foot français deviendra « la troisième division du foot européen » (Jean-Pierre Louvel, président de l’UCPF).

Ils ont raison. Ils seront affaiblis. A court terme, mais affaiblis. Hormis le PSG et Monaco, les clubs professionnels se sont astreints, crise et fair-play financier obligent, à percer des trous jusque là ignorés à une ceinture qui a rarement été aussi serrée. Lyon et Marseille font partie de ces clubs. Ils ont recruté moins grand, mais ont conservé leurs leaders, et leurs bons joueurs. Lesquels ont des salaires XXL. Qui dépassent le million d’euros annuel.

Quatorze des vingt clubs de Ligue 1 sont concernés par ce projet de loi. 120 joueurs. Selon la LFP, il coûterait au moins 44 millions d’euros annuels. 20 millions au PSG, 8 à l’OM, 5 à Lyon et à Lille. Pour certains, comme l’OM, l’OL ou le LOSC, la facture s’annonce lourde, très lourde, et impactera bien sûr les équipements du stade, sur les autres salariés du club, sur le recrutement à venir. Rien à Monaco (club soumis au droit monégasque), Reims, Evian-Thonon-Gaillard, Sochaux, Nantes et Lorient (bas salaires) ne seront pas touchés.

Ce n’est pas pour les salaires des footballeurs, ni pour les sommes que paieraient les clubs, qu’il convient de s’inquiéter. Mais pour les autres employés : administratifs, formateurs, intendants, tous ceux qui font le quotidien d’un club.

C’est vrai : dans cette histoire, les clubs sont pris d’un côté entre les agents des joueurs, qui font monter prix, enjeux et salaires, et de l’autre par la realpolitik du foot-business.

C’est vrai : ce n’est pas au club de payer.

 

Non, le football n’est pas une citadelle assiégée

Mais s’ils sont assujettis à une taxe –qui n’est encore que projet-, c’est qu’ils ont de gros salaires. Un prix à payer pour avoir de grands joueurs, mais ils ont eu les moyens de le payer. Ils doivent donc avoir les moyens de payer cette taxe. Pour eux, c’est peu. Mais pour la plupart des gens, ça veut dire beaucoup.

Le football est devenu un des plus grands vecteurs de la dérèglementation libérale. Cette taxe n’est qu’un petit effet de réel lancé à la face du foot-business, cette excroissance virtuelle et récente du système capitaliste moderne.

C’est un fait : ce sont les joueurs qui sont millionnaires. Pas les clubs. Mais c’est un fait : le football n’est pas une activité industrielle menacée. Le foot peut payer. Le football n’est pas une citadelle assiégée. Lorsque ces messieurs veulent faire croire qu’ils ne peuvent s’acquitter de cette (possible) taxe touchant les très hauts salaires, c’est comme lorsqu’un assujetti à l’ISF dit qu’il n’a plus les moyens de payer.

Une telle taxe est rarissime. Ce projet gouvernemental a, il faut encore le rappeler, été revu à la baisse depuis la campagne électorale. Il ne s’agit donc nullement de pénalité. Nullement. Il s’agit de solidarité.

Comme le précisait ce jeudi Jean-Pierre Louvel, le football français représente 25 000 emplois. Il faut les protéger comme tous les autres. Mais désolidariser ces emplois du reste de l’économie est-il le meilleur moyen de parvenir au but ?

Par ce préavis de grève, les patrons du foot professionnel français adoptent, comme les Bleus les moins aimés, un comportement de nouveaux riches qui s’assoient sur les souffrances du reste de la population.

S’acquitter de cette taxe forcerait les clubs concernés à se rapprocher d’un monde duquel ils se coupent progressivement. Celui du football amateur, dont tous les pratiquants sont concernés par ce phénomène qui met tout le monde au mieux dans la précarité, au pire à terre : la crise économique.

S’acquitter de cette taxe, épouser cette loi qu’abrogera sans doute un gouvernement de droite lorsqu’il reviendrait au affaires, serait un geste de générosité pour un nouveau pacte. Un pacte citoyen, une main tendue par les ultras-riches envers des chômeurs et des travailleurs qui ne le seront jamais. Et grâce au supportérisme de qui ils sont, parfois, devenus les stars qu’ils sont aujourd’hui.

Ce serait, trois ans après Knysna, une preuve de contrition qui aurait valeur de rédemption. Une façon noble de faire pardon plutôt que de le demander.

 

Culture et citoyenneté : des valeurs qui ne seront jamais taxées

 

Ce serait une façon de montrer une humanité. De dire que le football professionnel ne rime pas qu’avec foot-business. Qu’il a les pieds sur terre. Qu’en temps de crise globale, il propose la même chose que les histoires, le cinéma, la littérature : le rêve, l’évasion. Que le sport est une langue qui peut, à sa façon, relever le monde. Faire que l’homme se sent homme.

Quand l’homme se sent homme, cela tient à deux choses : la citoyenneté et la culture.  Elles passent par l’égalité de droits, de devoirs et d’accès.

Peut-être les footballeurs d’aujourd’hui se cognent-ils de la culture et de la citoyenneté. Peut-être. Mais il appartient à ceux qui les payent de leur montrer, à eux et à leurs agents, que ce sont des valeurs qui ne seront jamais taxées.

S’acquitter de cette taxe n’aura certes aucun effet citoyen sur les joueurs actuels. Mais cela pourrait persuader ceux de demain de participer à cet effort économique en temps de crise. Cela pourrait influer sur une nouvelle réflexion pour une autre taxation, qui mettrait tout le monde d’accord.

Autant rêver à un sport sans dopage ? A une classe politique au-dessus de tout soupçon ?
C’est vrai.
Mais les révolutions prennent du temps. Même la démocratie ça prend du temps.
Mais c’est comme tout : il suffit d’une idée simple et saine, et un projet devient l’idée d’une vie.

Honorer cette taxe serait, pour les patrons de notre football professionnels, la plus belle façon de montrer que leur sport, qui est notre sport et notre passion, est une culture. Et qu’il a son mot à dire.

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