Comme beaucoup, quelques heures après la mise en disponibilité du film en VOD, j’ai pris ma télécommande, ai validé la location, et ai regardé l’objet: « Welcome to New York », qu’il n’est plus besoin de présenter ici.
Durant tout le film, assez vide pour qu’on puisse penser à autre chose en le voyant, j’ai pensé à la performance de Depardieu (réelle), mais aussi à un autre homme : l’écrivain Régis Jauffret.
Un film sur le corps de Depardieu
Il y a ce prologue étrange, qui consiste en une fausse conférence de presse où (le vrai) Gérard Depardieu explique à (de faux) journalistes ce qu’il pense de DSK et pourquoi il a accepté de l’incarner :
Je ne l’aime pas, je n’aime pas les hommes politiques. Je n’aime pas jouer, j’aime sentir les choses
Il y a la mention habituelle, ici adaptée au sujet :
Ce film est inspiré d’une affaire judiciaire dont les phases publiques ont été filmées, retransmises et commentées par les médias du monde entier. Mais les personnages du film et les séquences les représentant dans leur vie privée relève de la fiction, personne ne pouvant prétendre reconstituer la complexité et la vérité de la vie des acteurs et témoins de cette affaire, sur laquelle chacun conserve son propre regard
Puis ça commence. Cet homme énorme, Devereaux, qui incarne un président de la Banque mondiale et favori pour devenir celui de la France. Cet homme qui envoie chier le protocole en scène d’ouverture, préférant proposer une pute au chef de la sécurité. Cet individu qui arrive au Hilton de New York, les prostituées de luxe l’appellent « mon chéri », sa fille l’appelle « papa », mais le reste du monde l’appelle par son simple patronyme, Devereaux -même sa propre épouse. Un homme qui supporte mal le poids des on propre corps, un homme à bout de souffle, à bout de vie. Un homme qui ne vit qu’entre deux petits orgasmes (il semble peu performant, ce qui lui est d’ailleurs moqué par une de ses prostituées). C’est le premier hic du film : ne présenter l’homme qu’en bête. Cela eut pu fonctionner si on ne connaissait pas la vraie histoire. Mais voilà : on ne la connaît que trop. Et plus encore : si le film propose des scènes qui sont assurément différentes des vraies, il ne fait cependant que nous faire revisiter toutes les lignes d’un storytelling qu’on a subi. Ferrara ne propose pas de nouvelle piste et enfile les lieux communs aussi bien sur les hommes que sur les politiques. Même la scène du supposé viol est floue : Ferrara semble privilégier la thèse du viol mais reste implicite. Aucun risque.
Et c’est bien le problème : Ferrara ne prend aucun risque. Son plus grand est d’avoir mis en scène ce fait divers réel. That’s all.
Si Jacqueline Bisset et Gérard Depardieu offrent tous deux une composition magistrale, tout ça tourne à vide. Le vrai héros du film s’avère être… le corps du comédien français. Flasque, énorme, qui à lui seul symbolise la décadence. Laquelle est, in fine, le thème du film –mais si mal exploité.
Passant, le film fait des sorties de routes non étayées, comme ces allusions sur les origines de la fortune du père d’Anne Sinclair –qui sont déjà qualifiées d’antisémites. Bizarrement, le film avance des choses mais ne les argumente jamais, passant à autre chose. Ferrara donne parfois l’impression de vouloir se débarrasser de son propre sujet.
Où est le Ferrara qui avait su magnifier la décadence d’Harvey Keitel
dans « Bad Lieutenant » ? Où est celui qui avait fait de Christopher
Walken un si sublime « King of New York » ? Où est celui de la précision
psychologique de « Snake Eyes », des trous noirs (film éponyme), des
addictions et des rédemptions.
Ferrara est tombé dans le piège de l’époque : comment raconter en images
une histoire qui fut vue et revue sur toutes les chaînes, durant des
semaines ? Ni fiction, ni documentaire, ni reconstitution, c’est à une
sorte de docu-fiction sur le fantasme auquel nous assistons.
Bref, « Welcome to New York » est un film vite et mal fait, comme on tire un coup vite fait.
Le livre
En janvier dernier, il faisait paraître « La Ballade de Rikers Island », épais et très solide roman qui, sans nommer son personnage, s’attachait aux premiers jours de l’affaire du Sofitel. Si le film de Ferrara reconstitue les heures précédant l’attouchement fatal, Jauffret commençait son récit entre les murs de la cellule sur l’île de Rikers Island, où fut incarcéré DSK avant d’être libéré sous caution. Le roman se dédoublait sur plusieurs fronts parallèles, tout en demeurant accroché à ses quatre personnages centraux pour ne plus les quitter :
- l’homme politique français, président d’une institution financière internationale, incarcéré suite à une plainte pour agression sexuelle
- son épouse, tirée du sommeil un dimanche de mai parisien, à l’aube, par un appel l’avertissant de l’arrestation
- la femme de chambre d’origine africaine qui accuse le dignitaire de viol. Nafissatou Diallo elle la seule à être nommée
- l’écrivain lui-même, qui commence son enquête en décollant pour l’Afrique, espérant y trouver les traces de celle qui, parmi les protagonistes, l’intéresse et l’émeut au plus haut point.
Ainsi, du portrait d’un priapique en minotaure terrassé, le livre devenait ensuite le portrait de deux femmes (l’épouse, et une Nafissatou Diallo qui, elle, est nommé). Un récit acceptable, proposition et hypothèse littéraires qui, le 26 mars dernier, valurent à Jauffret et à son éditeur une assignation pour diffamation de la part de DSK. Un Jauffret qui sait ce que veut dire le risque, quand il transcrit des faits divers réels : en 2010, il avait publié « Sévère », inspiré par la mort d’Edouard Stern. La famille du banquier, après avoir demandé l’interdiction du roman, a retiré sa plainte en 2012.
« Welcome to New York » vient par l’exemple montrer une chose : sur cette histoire, il faut lire. Lire Jauffret.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire