Le Canadien, reconnu depuis son adaptation au cinéma par Jacques Audiard, est de retour avec son deuxième roman, le superbe Cataract City. Il est un des grands invités du Festival America.
De la boxe, des remords, de la rédemption, des hommes qui apprennent la vie dans la douleur et la violence : aucun doute, c’est un roman de Davidson.
« Cataract City » est son deuxième, après « Juste être un homme » en 2008, dans la collection Terres d’Amérique d’Albin Michel, où il est publié en France depuis le recueil de nouvelles « Un goût de rouille et d’os ». Ces deux livres nous avaient révélé un auteur à placer quelque part entre Harry Crews, Abel Ferrara et Chuck Palahniuk, avec des univers de boxe, de combats, mais aussi de frères et sieurs partant à la recherche de leurs parents perdus, de taudis urbains ou encore d’hommes perdus après un accident du travail.
Au centre des réflexions de l’écrivain : que veut dire être un homme aujourd’hui ? Etre un solitaire aussi violent que son temps, un être pragmatique, ou bien un chef de clan ?
Un livre de Davidson est une immersion dans la violence physique, mais aussi dans des psychés de personnages masculins qui s’avèrent bien marécageuses. Ce très dense Cataracte City est du même bois, tout aussi lyrique et emballant que les précédents livres de l’auteur, mais peut-être plus hypnotique.
Il débute quand un des deux personnages, Duncan Digs, retrouve la
lumière du jour, lui qui sort de prison après y avoir passé « deux mille
neuf cent douze nuits ». Owen Stuc key, son ami d’enfance, est venu le
chercher. Ce livre, c’est l’histoire de leur amitié.
« Dun » et Owen, deux fils de prolos de Niagara Fulls, une petite ville ouvrière à la frontière du Canada et des U.S.A., jouxtant les chutes d’eau du même nom, lesquelles sont grondement constant. Une ville racontée ici à travers les activités qui la divertissent le samedi soir : la lutte, la boxe, les combats de chiens, passe-temps violents et bruyants. Elle « connaît la forme des choses et elle épouse les vôtres –ou peut-être est-ce l’inverse. Le résultat est le même. Elle ne change pas vraiment, mais elle vous change. Si l’on tient le coup à Cataract City, on sort de l’épreuve endurci. Mais parfois les gens sont plus beaux, je pense, s’ils ont été brisés ».
Brisés, Dun et Owen le seront. Mais réunis. Et à quel prix. C’est ce que retrace et raconte le roman. Owen, privé d’une carrière de basketteur professionnel par un accident, est devenu policier. Dun fut ouvrier avant de d’enchaîner les mauvaises rencontres, et de se trouver empêtré entre combats de chiens et contrebande. Le destin les avait séparés à douze ans. Mais le destin est magnétique, et les avait réunis quand l’un décida de venger l’autre. Puis vint la détention de Dun -lequel s’était, en prime, installé avec une femme que convoitait aussi son ami. Mais, la ville de Cataracte City étant elle aussi magnétique, elle les avait enjoints à se retrouver, et collaborer ensemble, le flic et le repenti. Ces deux-là sont unis par leur rédemption commune, et par la force d’inertie d’une ville dépeinte ici comme une farce touristique. Le roman alterne passé et présent, et donne la voix aux deux protagonistes afin de révéler leur double destinée.
« Cataracte City » est de ces histoires d’amitié plus forte que la haine, plus puissante que la loin, que la morale, que tous les coûts et les coups : les deux hommes n’ont jamais oublié ce qu’il devait à l’autre depuis un certain secret d’enfance.
Mais le personnage principal de ce roman, c’est Cataracte City
elle-même, ville « possessive, rancunière, qui a une mémoire d’acier »,
qui « vous garde à l’intérieur d’elle-même. Et quand cette main se
transforme en poing, la plupart du temps, on s’en rend à peine compte ».
C’est toute la profondeur et la force hypnotique de ce livre qui, dans
cette cité castratrice, a déployé une histoire où se mêlent espaces,
frontières, fatalité, fidélité, amitié, vengeance et liberté.
On se rappelle que Jacques Audiard avait pris deux des douze nouvelles d’ « Un goût de rouille et d’os » pour les mixer et les adapter sous le titre « De rouille et d’os ».
(Voir un extrait du film)
Présenté en compétition officielle lors du Festival de Cannes 2012, le film n’avait eu aucun prix, mais avait reçu un fort bon accueil critique. En 17 semaines d’exploitation en salles, il atteignit 1 932 000 entrées.
Certains producteurs s’intéressent d’ores et déjà à « Cataract City », à qui on souhaite la même vie. Et à vous, de prendre le même plaisir. Ce dont on gage déjà.
Lors du festival America ce week-end, vous pourrez voir Craig Davidson lors de débats (dont « La société des humains », samedi 17h, mené par votre serviteur) et pour des séances de dédicaces.
Cataracte City de Craig Davidson, trad. Jean-Luc Piningre, Albin Michel / coll. Terres d’Amérique, 495 p, 22,90 euros
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