C’est d’ailleurs un match contre l’Espagne, au stade Vincente-Calderon
de Madrid, qui marque le vrai déclic, le vrai marqueur de l’esprit
Deschamps, de son autorité chez les Bleus et les résultats de son
coaching. C’était le 16 octobre 2012, en éliminatoires de la Coupe du
monde au Brésil. La suite serait faite de hauts et de bas, et aboutit
sur une Coupe du monde qui réconcilia les Bleus et le pays : « La bande à
Deschamps », comme on les surnomma, se conformèrent à l’esprit d’équipe
de leur nouveau sélectionneur, et à sa maîtrise de la vie de groupe,
des hautes compétitions, et de la rhétorique de communication.
En 2010, un « Livre noir des Bleus ». En 2014, « La naissance d’une équipe »
Juin 2012 – juillet 2014 : c’est ce parcours, cet esprit, cette vie
ensemble que retrace ce livre qui, s’il ne contient aucune révélation ni
scoop, a l’intérêt de rappeler, restituer, contextualiser et résumer
les étapes qui forgèrent cette reconquête de l’esprit Bleu. « La bande à
Deschamps – Naissance d’une équipe » se révèle bien utile, à l’orée
d’une période de deux ans sans pression –la France est qualifiée pour
l’Euro 2016 en tant que pays organisateur.
Le livre avait été commandé avant la Coupe du monde par les éditions
Robert Laffont, qui voulait un récit de la compétition et un livre sur
l’esprit DD. L’éditeur avait déjà fait cette opération en 2010, et
s’était retrouvé avec un livre portant aussi sur l’incivisme : « Le
livre noir des Bleus », signé d’une des plus belles plumes de la presse
française, le journaliste à L’Equipe Vincent Duluc. Le titre de la
commande 2014 dit toute la différence entre les deux tournois, les deux
périodes, les deux équipes… et les deux sélectionneurs : « La Bande à
Deschamps – Naissance d’une équipe ». Il est signé par deux journalistes
écrivant également pour le quotidien sportif : Raymond, qui suit
l’Olympique de Marseille et les Bleus depuis des années pour le
quotidien, et Damien Degorre, qui suit le PSG et couvre la sélection
depuis 2007. Une plume de Marseille et une plume de Paris qui composent
régulièrement ensemble : on leur doit notamment « L’Équipe, Histoire d’un scoop » où
les auteurs revenaient sur le poème de Nicolas Anelka à Raymond
Domenech (« Va te faire enculer, sale fils de pute » ou, selon les
sources, « Va te faire enculer, toi et ton système de merde »).
L’homme qui tombe à pic
Si Domenech n’avait que peu d’autorité sur un vestiaire, comme le confirma la lecture de son propre ouvrage, il en est tout autrement pour Deschamps. A l’instar d’un Willy Sagnol à Bordeaux actuellement, mais dans des proportions de plus grand champion encore, « DD » est une personne qui est respectée par la jeune génération grâce à un élément prépondérant : un palmarès hors-norme, un rôle de capitaine dans des aventures inoubliables (OM en 1993, Bleus en 1998 et 2000), et une capacité à avoir su transformer des bas en hauts.
Deschamps, c’est un palmarès. C’est aussi un genre, une attitude, que
décrypte aussi ce livre (décidément utile), qui donne au passage une
idée des raisons pour lesquelles les Bleus avec Laurent Blanc
(2010-2012), ça n’a que peu marché. Question d’assise (Blanc en a) et
d’autorité (les faits ont prouvé qu’il en avait moins). Question de
clinquant, aussi : les auteurs montrent que, dès son arrivée, l’ancien
coach marseillais voulait rompre avec les équipes d’assistants
pléthoriques, et les piges hyper-luxe comme celles accordées à Fabien
Barthez.
Degorre et Raymond reviennent sur les conditions dans lesquelles
Deschamps succéda à son ancien coéquipier en bleu, sur la façon dont il
consulta les siens, son épouse comme le fidèle et élégant Guy Stephan.
Sur l’air de « Je t’aime moi non plus » qui caractérise jusqu’alors les
relations entre les deux parties (la FFF avait retoqué la candidature
Deschamps en 2008).
Pour les deux journalistes, la réussite actuelle de l’esprit des Bleus
tient aussi à la convergence entre les intérêts, les aléas, les estimes
respectives et le vécu commun qu’on trois hommes : le président de la
Fédération Noël Le Graët, Didier Deschamps, et son adjoint Stephan. Ce
dernier avait débuté sa carrière de joueur pro… à Guingamp, club dont Le
Graët fut le président (entre 1972 et 1991, puis de 2002 à 2011). Sa
propre épouse a même un lien familial avec la famille du président de la
FFF. Forts d’une harmonie entre eux, soudés par des objectifs pour
lesquels ils sont raccord sur les moyens d’y parvenir, les trois hommes
sont aussi d’accord sur les modus operandi avec les instances du
football hexagonal (associer à leur projet les entraîneurs nationaux,
ceux qui s’occupent des sélections de jeunes). Ils sont surtout d‘accord
pour adopter un comportement plus harmonieux avec la presse, dont se
méfiait Blanc, et que Domenech avait érigée en puissance ennemie. Pour
les deux auteurs, « Deschamps ferait un journaliste extrêmement bien
informé », lui dont une des forces est un réseau fort étendu et « des
relais dans chaque recoin de la planète foot » qui lui ont permis « de
cerner avec précision les tenants et les aboutissants des secousses
médiatiques qu’a dû endurer l’équipe de France en Ukraine (où se
déroulait l’Euro 2012, ndla) ».
Les discours et la méthode
C’est en s’appuyant sur cette base, à laquelle ils adjoignent aussi
Philippe Tournon, redevenu chef de presse des Bleus depuis 2010 après
l’avoir déjà été de 1983 à 2004 (et été aussi rédacteur en chef adjoint
de… L’Équipe), que Degorre et Raymond développent ensuite le propos
solide de leur livre : comment « DD » a bâti, assemblé, cimenté, aimé,
cette équipe tricolore –constituée de jeunes bleus pour la plupart.
Le livre passe en revue les matches, les tournées, les hauts, les bas et
les aléas dont nous nous rappelons encore, mais que le passionné et le
supporter apprécieront de rassembler. Parmi lesquels :
- La désastreuse tournée de juin 2013 en Amérique du Sud
- Le cas Yohan Gourcuff, dont Stephan et Deschamps s’aperçoivent de son très volontaire isolement
- La gestion du cas Samir Nasri, auquel Deschamps tenait à laisser toutes ses chances avant de convenir d’un vice de forme dans le comportement collectif du joueur
- L’émergence de Paul Pogba, qui n’avait pas encore joué en pro qu’il émargeait chaque mois à 20 000 euros
- La rivalité Giroud/Benzema
- La confiance aux jeunes
- La volonté ferme de rapprocher le groupe de la presse et de supporters
- La séance ciné avec Djamel Debouzze pour remobiliser la troupe avant le match retour contre l’Ukraine
- Le côté procédurier de Didier Deschamps –les auteurs auraient cependant gagné à plus étoffer cette partie, car il s’agit d’une caractéristique de l’homme avec tous ses partenaires et tous ses contacts
- Le dossier médical Ribéry
- Le tournoi et la fierté du devoir accompli
Le tout à chaque fois illustré par « la méthode » Deschamps : des fiches à jour sur ses joueurs (il n‘oublie ainsi jamais un anniversaire), son équilibre de gestion des troupes, son approche patiente des choses.
« La bande à Deschamps » est un vrai livre d’insiders, et on goûte de nombreuses scènes d’entraînements, de couloirs, de vestiaires, de repas, de repos, de vie de groupe. Les deux journalistes avaient suivi les Bleus durant toute la période, avaient informé leurs lecteurs quotidiens dans L’Équipe, mais en avaient gardé pas mal sous le coude.
Ils ne passent pas sous silence les ambiguïtés du coach national, ni
ses tensions, qui souvent ont pour origine le même homme : Jean-Pierre
Bernès, son agent avec qui les relations demeurent fort tendues
lorsqu’il s’agit des Bleus.
Ce livre est ce qu’on appelle un « quick-book » (vote écrit, vite lu),
de bonne tenue de plume bien qu’on le sente bouclé et imprimé dans des
conditions commando.
On goûtera la façon dont les auteurs évoquent chacun des joueurs de l’équipe de France pour illustrer à la fois la méthode Deschamps –directement inspirée de celle d’Aimé Jacquet-, le cas des joueurs eux-mêmes, et la vie d’un groupe de footballeurs à l’heure actuelle.
La bande à Deschamps – Naissance d’une équipe de Damien Degorre et Raphaël Raymond, Robert Laffont, 324 p, 19 euros
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