Une tonne de ola et de hourras pour les joueurs du Grenoble Foot 38, qui ont ce dimanche soir éliminé de la Coupe de France les champions d’automne de la Ligue 1, l’Olympique de Marseille.
Durant quatre-vingt-dix minutes, et malgré des baisses de rythme bien compréhensibles, jamais ils n’ont parus inconsidérément dépassés par les Marseillais.
Un comble, même : sans cesse au pressing sur le porteur du ballon adverse, ce sont eux, les Isérois, qui ont pratiqué… le jeu que leurs adversaires du jour avaient déployé durant toute la première partie du championnat. Deux fois durant le temps réglementaire, ils sont revenus au score, à 0-1, puis à 1-2. Nasrallah (10e) et Hashi (46e) répondant à un doublé de Gignac (6e et 33e).Rebelote en toute fin de prolongation, quand ils revinrent à 3-3, une égalisation sur un but d’école, par Bengriba, répondant à un but de raccroc par André Ayew.
Le GF38 a, ensuite, évincé l’OM de la compétition aux tirs aux buts, 5-4, grâce notamment à un arrêt de Cattier sur la tentative de Thauvin.
(Voir le résumé en vidéo)
Ce genre de qualifications, tout à fait logique au regard du match, fait la beauté de la Coupe de France : un membre de l’élite effacé par un club avouant quatre divisions en-dessous.
Ola par dizaines en direction de Grenoble, donc.
Mais pour un fan de l’OM, puisque tel est aussi une partie de mon ADN, il convient d’être sincère envers soi-même, ce qui n’empêche pas la mauvaise foi (qui n’en a pas n’est pas marseillais).
Certes, Dimitri Payet n’a, bien qu’étant présent sur le terrain, pas joué, il a peu couru, et même en marchant il a évolué sans strass. Certes, c’est la reprise –mais c’est pour tout le monde pareil. Certes, la pelouse était pire qu’une tranchée : l’équipe de rugby de Grenoble, qui cartonne en Top 14, y avait joué hier. Comment donc la FFF a-t-elle pu homologuer ce terrain vingt-quatre heures après ? C’est une honte. Mais elle handicapait les deux équipes.
Ce premier dimanche de 2015, l’homme qui a coulé l’équipe est celui-là même qui lui avait donné une âme en 2014 : Marcelo Bielsa. L’entraîneur devenu icône. L’homme des coups de gueules, des séances vidéo à vous flinguer des yeux normaux. Celui qui va transformer une glacière en objet de mode chez les supporters (et ailleurs, rappelez-vous de la photo du métro parisien en décembre !). Celui-là même qui a fait revenir identité et intelligence du jeu à l’OM, qui n’en avait pas vues depuis Deschamps, et surtout depuis Gerets et Goethals.
Un jeu et sept erreurs
Dans le jeu pratiqué par l’OM ce dimanche soir, dans la composition de l‘équipe de départ, puis dans le coaching durant le match, plusieurs décisions de Bielsa laissent totalement pantois.
Samba dans les buts
Pour ménager le capitaine et titulaire, Steve Mandanda, c’est le jeune
(20 ans) Brice Samba qui avait été titularisé. Comme lors du premier
tour de Coupe de la Ligue… perdu par l’OM à Rennes. Il est très fréquent
que les clubs fassent tourner l’effectif même dans les cages, et que
les gardiens numéro 2 ou 3 jouent les coupes. D’autant moins obligé
lorsque, comme ce soir, la Coupe de France était l’un des deux seuls
tableaux nationaux qui restaient à l’OM cette saison. Pour tout
entraîneur, le dilemme est cruel : faire jouer le numéro 2, ou assurer
et laisser le numéro 1 ? Outre le championnat, la Coupe était la seule
autre compétition où l’OM concourrait encore cette saison. Y avait-il
urgence à faire tourner les gardiens ? Non. Il y avait urgence à faire
jouer Mandanda, auteur d’une remarquable première partie de saison. Il
aurait remis de l’ordre dans l’arrière-salle de la maison. Car Samba,
hasardeux, timoré, fébrile, n’a pas eu le rendement d’un gardien de L1.
Et, devant des joueurs de CFA qui jouaient pour le plaisir et
saisissaient le moindre signe du destin, la peur au ventre de Brice
Samba ne fut que surlignée.
Bielsa s’est passé de un, puis de deux capitaines
Cette décision concernant le gardien est d’autant plus irrationnelle que
Steve Mandanda est aussi le capitaine de l’équipe, depuis plusieurs
saisons. Il est, en outre, un des plus anciens joueurs du club. Il était
là lors du titre de 2010. Il est un de ceux que les autres écoutent
(n’est-ce pas envers lui, assis sur le banc, qu’Ayew est allé chercher
un encouragement qu’il attendait en vain de son entraîneur, avant les
tirs aux buts ?). Il était celui dont avait besoin l’équipe ce soir.
Mais Bielsa l’avait mis remplaçant.
Ce dimanche soir, le capitaine était André-Pierre Gignac. Cohérent.
Bien. On a vu dans son comportement, et dans son regard noir, si envieux
de tout casser, que Gignac avait envie de vaincre. Sauf que Gignac fut
sorti à la 63e (pour Ayew), alors qu’il semblait en pleine forme, et que
lui-même comprenait mal. A ce moment, l’OM menait fébrilement, et ne
tenait que grâce à Gignac (rappelons que Payet, bien que présent à
Grenoble ce soir, a été moins visible qu’un fantôme). Certes, nous
apprenions plus tard que Gignac était légèrement blessé à l’épaule. Mais
il est aussi de ces joueurs qui peuvent jouer « légèrement blessés »,
encore plus quand l’équipe est en danger (et à la 63e, l’OM était en
danger). Gignac serait forcément sorti, mais il aurait pu jouer encore
un peu. Et qui sait, marquer.
Une défense à l’eau
Lemina à droite, Fanni et Nkoulou au centre, Morel à gauche. Sur les
trois derniers, rien à dire. Mais Lemina à droite ??? Au poste de
Djadjédjé, lequel fait une belle saison, et a tout le champ pour jouer
puisqu’il a refusé de participer à la prochaine CAN avec la Côte
d’Ivoire ?! Pourquoi faudrait-il économiser le titulaire habituel ???
Premier résultat : Lemina, d’habitude efficace à son vrai poste plus
avancé, a été dépassé, et a participé au naufrage défensif sur les deux
buts. Second résultat : une défense déréglée, où Nkoulou n’a pu à lui
seul tout colmater (qu’on m’explique comment l’OM pourra bien tenir
plusieurs matchs sans lui, qui va partir quelques semaines pour la CAN).
Sur les trois buts, un au moins aurait pu être évité. Avec des
défenseurs.
Provoquer les foudres du destin
Parfois, le destin se venge vite. Lemina ne tenant pas le niveau, Bielsa
décida de le remplacer par Djadjédjé, le vrai taulier du poste. Mais,
plus tard, on vit celui-ci se tenir les adducteurs. Une douleur qui l’a
handicapé durant tout le restant de la partie (en espérant que cela ne
soit pas plus conséquent). Petits effets grande conséquence : une
élimination et un joueur blessé.
Payet à gauche, Ayew sur le banc
Cette saison, Bielsa a replacé Dimitri Payet au centre du jeu, dans
l’axe. Résultat : il a fait une première partie de saison d’enfer, et
est accessoirement meilleur passeur du championnat. Il est le meneur de
jeu incontesté de l’équipe, et a parfois été celui qui a tenu l’équipe à
bout de bras (en décembre). Je pense personnellement qu’il est le
meilleur milieu de terrain de Ligue 1 cette saison.
Cette saison, Bielsa a fait reculer André Ayew de son positionnement
originel (attaquant), et l’a situé sur l’aile gauche. Ça n’a pas affecté
son rendement, bien qu’il soit légèrement en deçà des saisons passées.
Ce soir, Bielsa avait décidé de mettre Payet à gauche, et Ayew sur le
banc. Alors que ce dernier aurait ou jouer un match complet, avant de
s’envoler demain pour la CAN, où il rejoint la sélection ghanéenne. S’il
fallait économiser Ayew, alors il ne fallait pas le convoquer du tout.
Ce soir, Ayew est entré au pire moment : à la place de Gignac, grâce à
qui l’équipe surnageait. Et pour suppléer un joueur pourtant présent,
mais que personne n’a vu : Payet. Entré en cours d’un match qu’il
aurait, en toute cohérence dû débuter, il devait jouer pour deux tout en
maintenant son équipe à flot. Impossible, et surtout trop tard.
Bielsa lui-même a montré à quel point il s’emmêlait les pinceaux, quand à
plusieurs reprises il a par la suite modifié le positionnement des deux
joueurs. Personne ne comprenait rien. Pas même les joueurs, qu’il se
mettait à engueuler du bord du terrain, en espagnol et sans son
interprète. Ajoutant encore à la confusion.
Thauvin aux tirs aux buts : fatal error
Lorsqu’il s’élança, les deux équipes étaient à égalité, dans la séance
fatidique. Lorsqu’on vit que c’était lui qui tirait, on se dit qu’encore
une fois Bielsa provoquait le destin. Pourquoi pas. Masi ce dimanche,
le destin était contre l’Argentin. Qui, dans un soir qui s’était déjà
annoncé contraire, aurait dû renoncer à faire tirer Thauvin. Certes, ce
dernier avait fait un bon match. Mais Thauvin avait, aussi, été formé
dans le club grenoblois. Et Thauvin est encore très jeune. Or, tous les
jeunes joueurs sont fébriles lorsqu’ils affrontent leur club d’origine.
Un soir, comme ce soir, un entraîneur d’expérience aurait dû nommer un
autre tireur. Résultat : Thauvin a tiré, mais le gardien de Grenoble,
héroïque ce soir, a arrêté. Ce pénalty est, des dix tirés durant la
séance, le seul qui fit loupé. Il a fait perdre Marseille. Mais Thauvin
n’est pas le principal responsable.
Bielsa après match : « Les reproches sont pour moi »
L’Argentin l’a, dans sa droiture habituelle, souligné en direct lors de sa conférence d’après-match :
La défaite est injustifiable. […] Les reproches sont pour moi, pas pour mes joueurs
Et ce soir, en ce dimanche d’Epiphanie, ce nouveau roi du foot à Marseille a sabordé sa propre équipe. Tel un François Hollande qui, devenu amoureux de son propre déclin, décide tout d’un coup de faire le contraire de ce qui l’a amené là, et s’adonne au génocide économique des classes populaires et moyennes qui ont voté pour lui deux ans auparavant.
C’est le sport.
Ce n’est que du sport.
C’est la vie.
C’est les hommes.
Cela n’est pas inexcusable. C’est juste sciant. Irrationnel, chez un entraîneur qui avait scotché tout le monde par, justement, une approche di foot au pragmatisme si profond qu’on en était tous devenus des possédés émerveillés. Ça tombe mal, juste avant la CAN. Ça semble étrange et glaçant, un tel déraillement stratégique, chez un entraîneur lui-même étrange, glaçant, mais génial et (vu de France) innovant. Ça tombe mal, juste avant la CAN, pour cet homme qui, jusqu’alors, avait rapporté une faim et une joie de jouer dans l’effectif marseillais ; joie qui avait amené l’équipe à traverser victorieusement les affres judiciaires récentes, qui touchaient indirectement l’un de ses meilleurs éléments (Gignac).
Ça tombe mal.
Mais ça tombe toujours mal, les premières fois où ça déconne avec
quelqu’un qu’on aime. D’autant plus mal qu’on savait que ça arriverait,
et qu’on aurait bien repris une tournée de victoire, de rires, de
plaisirs, avant.
D’autant plus mal que cette élimination prive le club, avant même qu’une
finale et qu’une victoire aient pu devenir envisageables, de la
possibilité d’une place en Europa League.
D’autant plus mal que ça la fout mal de se faire jeter en janvier, pour
un club qui avait bravé les pronos et était parvenu en tête en décembre.
Alors, il ne s’agit pas, pour le journaliste culturel et consultant
foot que je suis, de jeter ici un quelconque opprobre sur Marcelo
Bielsa, lui aussi hommes de lettres et de foot.
Bielsa est la raison principale du succès marseillais en cette première
partie de saison –doit-il, ce succès, être minoré par les défaites
contre Lyon, Paris et Monaco.
Il fait de l’OM une équipe, ce qu’elle n’était plus depuis 2011.
Mais Bielsa est aussi la raison essentielle de la défaite marseillaise de ce soir.
L’Argentin n’est pas magicien, ses équipes sont faites d’hommes, et lui-même n’a pas le palmarès d’un champion. Mais on se disait que chez ce type où la pensée a l’air d’être organisée comme un camp militaire, on serait à l’abri d’un pète au casque stratégique et d’une équipe programmée en dépit du bon sens.
Mais non.
Et ça tombe mal.
C’est la loi du sport.
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