C'est un documentaire qui rassemble quatre générations de rappeurs - de IAM à JuL en passant par la Fonky Family, les Psy4 de la Rime, Keny Arkana et bien d’autres -. "Marseille Capitale Rap" raconte trente ans d’histoire culturelle et politique de la cité phocéenne, mais également de l’hexagone. Diffusé ce soir sur France 5 (et lundi sur France Région Paca), il mobilisera aussi des live sur les réseaux sociaux. Le Pop Corner l’a vu en avant-première.
"Trente ans après son apparition, le rap a conquis Marseille. Jamais un mouvement culturel n’a aussi rapidement et profondément marqué la ville. Jamais autant d’artistes marseillais n’ont généré un tel succès commercial" : ce sont les premières paroles du film, entièrement narré par Faf Larage. Concocté Gilles Rof, réalisateur de documentaires déjà abordé par ce blog, journaliste correspondant du journal Le Monde, et par Daarwin, réalisateur et photographe, « Marseille Capitale Rap » est une histoire transversale, qui va du milieu des années quatre-vingt à nos jours (le tournage a duré jusqu’à la fin de l’été, le montage et la post-prod jusqu’à cet automne).
(Voir le teaser)
Revenons aux premiers soubresauts. Au milieu des années quatre-vingt. L’éphémère émission télé "H.I.P-H.O.P.", diffusée de janvier à décembre 1984 sur la première chaine, avait initié la jeunesse française au breakdance et au hip-hop. Depuis 1981, l’explosion des radios libres avait préparé le terrain. A Marseille, c’était Radio Sprint, Radio Galère et surtout Radio Star. Sur cette dernière, un certain Philippe Subrini portait "Vibration", une émission qu’allaient bientôt intégrer Philippe Fragione et Éric Mazel. Bientôt, ceux-ci deviendraient "Akhenaton" et "DJ Kheops". Après avoir passé des étés à New York à la rencontre de ses rappeurs, ils allaient cofonder le groupe IAM, avec Shurik'n (Geoffroy Mussard), Imhotep (Pascal Perez), Kephren (François Mendy) et Freeman (Malek Brahimi).
En décembre 1989, la formation allait enregistrer une première cassette : Concept. Un son pur, une maitrise du sampler et du mixage hérité de l’apprentissage aux USA. Pour tout le rap français, ce fut une secousse. Plus rien ne serait pareil. Et aujourd’hui, IAM demeure le nom qui a libéré toute une jeunesse. A commencer par celle de Provence.
Le film raconte ce qui se passait là, juste avant et juste après : les rendez-vous à la station de métro Vieux-Port, les sessions "micros ouverts" au rap qui ont lieu à la Maison Hantée, bar du Cours Julien qui était pourtant un repère de rockers. Il rappelle qu’IAM avait inventé, invoqué, un rap extrêmement novateur. Marseillais jusque dans sa façon de mixer des musiques arabes entendues à Noailles et à Belsunce, ces deux quartiers du centre-ville. Le film n’oublie pas de signaler l’importance, d’ailleurs, de Bouga et de "Belsunce Breakdown".
Quatre générations
Le récit de Faf Larage souligne à quel point le rap « était fait pour cette ville, bavarde et cosmopolite ». C’était un rap métissé, arabe et provençal, tchatcheur et blagueur, moderne et intemporel. Un rap qui signait non une cité, mais toute "une cosmopolitanie", dit l’un des nombreux artistes s’exprimant dans le film.
A raison, la première partie raconte beaucoup IAM : ils étaient les pionniers, et sont à jamais les parrains. Entre autres par leur politique de label indépendant et de pépinière, à laquelle les trois générations suivantes doivent beaucoup.
Le documentaire montrera, et c’est là son mérite, comment le rap a ensuite percuté chaque génération de façon phénoménale, mais très différente. En quoi chacune des figures, chacune des générations qui ont suivi, sont dans une filiation revendiquée, mais aussi dans une différence fondamentale.
La deuxième génération est celle de la Fonky Family, ce "collectif à rallonges" né en 1994, dont l’énergie sauvage se distingue de l’architecture réfléchie d’IAM. On savourera le récit de cette union précurseur avec Akhenaton.
La troisième, c’est les Psy4 de la Rime. Ils viennent des quartiers Nord, et sont donc les premiers rappeurs marseillais à ne pas être issus du centre-ville. Ils racontent encore autre chose. Deux des quatre membres poursuivent une carrière solo : Alonzo et Soprano. Ce dernier est, depuis, devenu une méga-star, après avoir été le premier à mixer des chansons de variété dans son rap. "Soprano, c’est Obama. C’est la réussite noire marseillais", dit un jeune témoin de la génération suivante.
C’est aussi le "rap conscient, militant, altermondialiste et antilibéral" de Keny Arkana.
La quatrième est celle de SCH, de Naps, de Kofs, de Soso Manes, et surtout avec celui qui est devenu le symbole de Marseille : Julien Mari, alias JuL. Vingt albums en six ans, et quatorze disques de platine.
Une histoire plus grande que le rap
C’est alors que "Marseille Capitale Rap" raconte une histoire plus grande : la nôtre, depuis trente ans.
Une histoire marquée par le meurtre d’Ibrahim Ali, le 21 février 1995. Ce jeune de dix-sept ans rentrait d’une répétition avec son groupe, les B-Vice, quand il fut abattu par des colleurs d’affiche du Front National. "Ça a changé le rap marseillais. Il y a eu beaucoup plus de profondeur après", témoigne Soprano.
Marquée, aussi, par ce paradoxe : cette ville est reconnue comme une des capitales continentales du rap et pourtant, en 2013, lorsqu’elle sera la capitale européenne de la Culture, les institutions n’accorderont aucune place à cette culture-là.
Marquée, aussi, par cet autre épisode des ingérences politiques et institutionnelles, par le drame de la rue d’Aubagne, le 5 novembre 2018. Marquée, portée et habitée, enfin, par cet OM dont il est bien sûr question ici, puisque le club comme son stade sont un poumon de la ville (et une scène pour Soprano).
Chroniquant la ville sur trente ans, "Marseille Capitale Rap" ne passe pas sous silence les règlements de compte, les trafics, qui sont la vie ou le décorum des jeunes rappeurs comme Soso Manes. Le film est aussi le portrait d’une Marseille devenue "plus dure, et toujours plus abandonnée", où on est passé "d’un rap de CPE à un rap où ça fume".
Il décrypte le potentiel social et fédérateur qui a construit quatre générations. C’est une partition de la musique urbaine d’un morceau de l’hexagone où, si l’on se sent marseillais avant tout (c’est dit par certains ici), c’est parce que Marseille est quelque chose comme un plus que France. C'est la France augmentée des ères Méditerranée (on rappellera que Phocée fut fondée par les Grecs). C’est en cela que l’imaginaire y fut et y demeurera à jamais "pas pareil ", "trop puissant" (je paraphrase ici deux slogans connus), romantique et violent. C’est une ville où j’ai vécu, que je connais, que j'évoque toujours avec passion, connaissance, cœur et (un peu de) raison.
Marseille, c’est comme la Fonky Family, c’est "un collectif à rallonges". Elles sont dépliées et racontées dans ce film.
"Marseille Capitale Rap"
Réalisé par Gilles Rof et Daarwin
Avec la participation de : Akhenaton, DJ Kheops, Imhotep, Shurik’n, Soprano, Alonzo, SCH, DJ Djel (Fonky Family), Sat l’Artificier (Fonky Family), Bouga, Keny Arkana, JuL, Kofs, Soso Maness, Mino, 3eme Oeil, REDK, Hollis L’infâme, Faf Larage, Hélène Taam, Saïd Ahamada, B-Vice, Namor, Mourad Mahdjoubi (Uptown), JMK$…
Production : 13 Productions, avec France Télévisions
Durée : 58 mn
Diffusion : samedi 14 novembre à 22h30 sur France 5, lundi 16 novembre à 22h40 sur France 3 PACA
Dès samedi, le documentaire sera accessible en replay sur le site de france.tv
Pour les 30 ans du rap marseillais, deux live sur les réseaux sociaux :
- Avant la première diffusion, de 21h30 à 22h30 ce samedi 14 novembre, Sat L’Artificier, membre de la Fonky Family, animera un live sur son compte Instagram (@satlartificierff)
- Lundi 16 novembre à 21h30, les deux beatmakers DJ Djel (Fonky Family) et L’Adjoint Skenawin (Psy4 de la rime, Soso Maness, SCH, JuL...) mixeront en live sur Facebook. Le live sera diffusé sur la page Facebook de DJ Djel (@jdjel.dontsleep) ainsi que sur la page de France 3 PACA
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