Vous prenez un réalisateur assez littéraire (il avait adapté Westlake en 2004 dans "Je suis un assassin"), une écrivaine française d’envergure (Valérie Zénatti). Vous y ajoutez Reda Kateb, Nadia Tereszkiewicz, Ariane Ascaride, et vous obtenez cette mini-série à grand suspense qui débute demain : "Possessions".
Nous n’avons pas eu le temps de nous remettre de la première, que voici déjà la saison 2 des confinements généralisés. Trop tôt. Aussi, avant de recommencer à s’occuper de livres (attendons la décision concernant l’avenir des librairies dès demain, 2 novembre, qui va influer sur la façon d’on nous parlerons des livres), le Pop Corner reparle Séries. Celles qui sont de fiction. Celles qui ne menacent pas la culture pas une quelconque fermeture. Et pourtant, il est bien question de murs et de fermetures, dans "Possessions", série qui n’hésite pas à montrer ces murs, si longs, qu’ont érigé les gouvernants israéliens pour isoler encore plus les territoires de Palestine. Où un épisode fait une incursion.
Il s’agit d’une mini-série, plus précisément, dont la diffusion débute ce lundi 2 novembre sur Canal Plus. Une production franco-israélienne qui réunit
- Shachar Magen, auteur de la série "Sirènes"
- Thomas Vincent, que les férus de romans noirs connaissent pour avoir adapté "Le Contrat" de Donald Westlake en 2004 : c’était "Je suis un assassin", avec Karin Viard, François Cluzet, Anne Brochet et Bernard Giraudeau. Les fans de séries le connaissent pour avoir travaillé sur "Borgia", "Tunnel" ou encore "Versailles
- Valérie Zénatti, écrivaine française, traductrice de l’hébreu, prix du Livre Inter 2015 pour "Jacob, Jacob" et prix France Télévision 2019 pour "Dans le faisceau des vivants". Elle a co-écrit "Possessions" avec Shachar Magen
(Voir la bande-annonce)
Ça s’appelle le suspense…
Effectivement, Karim, diplomate, va franchir les limites et les règles de son statut. Car comme tout le monde, il est fasciné, troublé, effrayé par Natalie (Nadia Tereszkiewicz), cette toute jeune Française expatriée qui se marie dès la deuxième scène. Juste avant cette scène, vous devrez faire attention à deux détails, deux moments, que nous ne révélerons pas ici… Voilà comment "Possessions" s’ouvre sur un mariage qui tourne… au bain de sang. Pourquoi ? C’est toutes l’histoire, ici.
Toujours est-il qu’au moment de couper le gâteau, quelqu’un a tranché la gorge du marié. Que Natalie a le couteau en main et la robe souillée de sang. Que quelques personnes fuient. Bref, tout accuse Natalie. A raison, ou à tort, ou peut-être les deux. Le crime a ceci de commun avec le monde de la finance que celui qu’il est souvent l’œuvre d’une main invisible, souvent plus essentielle que celle qui tient le manche (ou le couteau).
Le crime aussi, a ses voies impénétrables, et d’est bien en leur sein que vont nous mener ces six épisodes. Religion, crime passionnel, violence conjugale, tabous familiaux, jalousies, beauté fatale de Natalie : tout est impénétrable, tout dysfonctionne, rien ne se dénoue, et pourtant il y a ici deux policiers qui vont bien devoir y parvenir.
Suspense et réalisme
Vous l’aurez compris : en des temps confinés, "Possessions" ne vous fera pas rigoler. Mais le suspense est un art qui remplit son rôle de divertissement intelligent : on réfléchit, on s’effraie, on participe, et on se divertit. Nous sommes ici entre le thriller, le polar procédural, le roman sur le sacré, avec une sacrée touche de récit politique.
Réalisé et raconté à fleur de réel, "Possessions" montre la vie quotidienne de quartiers loin de Tel-Aviv : kibboutz, fermes, quartiers isolés. Certains personnages taillent la route, pour enquêter ou bien pour fuir. Pendant qu’ils avalent les kilomètres, la caméra filme ces murs de la honte qui isolent les territoires palestiniens.
Chaque épisode nous fait découvrir une facette d’un des personnages. De façon à nous faire penser que, peut-être, cette fois on le tient. Et puis… Et puis ça recommence à l’épisode suivant. Le suspense joue aussi sur un code classique : l’attraction-répulsion entre victime et bourreau(x)..
La tension dramatique, elle, nait aussi de cette opposition toujours montée en épingle entre rationnel (l’État israélien, le Consulat de France, la police, la laïcité) et irrationnel (deux familles dont les pratiques religieuses semblent appartenir au XIXe siècle, des pères et des mères. Une opposition qui est au cœur de tous les polars récents situés en Israël (de Batya Gour à Yshaï Sarid en passant par Alexandra Schwartzbrod ou Dror Mishani), et qui n’est pas une mince affaire, pour qui fait œuvre de fonction dans une contrée militairement, politiquement et religieusement aussi dangereuse que l’État d’Israël.
La possession pourrait donc être de nature religieuse, de nature sectaire, de nature paranormale et psychiatrique. Ce sont des hypothèses autant que des enjeux.
(Image Canal Plus) |
Performances d’acteurs
On signalera la composition de Dominique Valadié, Ariane Ascaride (mais vous dire en quoi serait spoiler). On regrettera que Tchéky Karyo interprète avec trop d’effacement un personnage, certes effacé, mais qui aurait mérité plus de contrastes. On soulignera les compositions de Reda Kateb, mais aussi, bien sûr, de Nadia Tereszkiewicz, découverte récemment dans le film "Seules les bêtes" (adaptation littéraire) ou dans la série "Dix pour cent", qui est ici parfaite dans l’équilibre entre les côtés clair et obscur de la force (base narrative originelle de la tragédie antique et d’un de ses descendants : le thriller).
On comprend pourquoi, à cette heure, la chaîne américaine HBO l’a d’ores et déjà achetée pour l’adapter.
"Possessions". 6 épisodes de 52 mn.
Diffusion à partir du 2 novembre sur Canal Plus. En intégralité dès le 2 novembre sur myCanal.
Création originale Canal Plus
Créée par Shachar Magen. Ecrite avec Valérie Zénatti.
Réalisée par : Thomas Vincent
Avec Nadia Tereszkiewicz, Reda Kateb, Noa Koler, Dominique Valadié, Ariane Ascaride, Judith Chemla, Aloïse Sauvage, Tchéky Karyo, Tzahi Grad, Roy Nok…
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>> "Les Lumières de Tel-Aviv" : chronique vidéo pour 233 Degrés, printemps 2020
>> "Etgar Keret" - Un recueil de micronouvelles et une série télé", chronique vidéo pour 233 Degrés, printemps 2020
A voir ailleurs :
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